Discours de rupture: Fermez les bases militaires !
Des leaders africains dénoncent à l’Onu la présence des armées occidentales sur le continent.
Les débats, semble-t-il, ont parfois été vifs entre dirigeants africains et dirigeants occidentaux, cette semaine à New York, dans le cadre de la réunion du Conseil de sécurité de l’Onu consacrée à la paix et à la sécurité en Afrique. Les dirigeants africains tenant parfois un véritable discours de rupture pour une plus grande indépendance du continent. Le cas par exemple du président sud-africain Thabo Mbeki qui remercie volontiers l’aide apportée par les pays occidentaux à l’Afrique, mais, estime que lorsque l’Afrique fait montre de sa capacité à résoudre elle-même ses problèmes, les pays développés devraient l’y encourager, plutôt que des dresser des obstacles devant elle. Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine, est même allé plus loin encore. L’ancien président malien a ouvertement demandé “ la suppression pure et simple des bases militaires étrangères en Afrique ”. Alpha Oumar Konaré soutient, en effet, que l’aide au développement devrait cesser de servir de prétexte aux puissances occidentales, pour s’ingérer dans les affaires intérieures des affaires africaines.
On l’a vu ces cinq dernières années avec les manifestations des Jeunes Patriotes en Côte-d’Ivoire, la présence des bases militaires étrangères est de moins en moins acceptée par la jeunesse africaine. Désormais, les leaders du continent emboîtent le pas à cette jeunesse. On sait par exemple que le président ivoirien Laurent Gbagbo, fermerait volontiers le 43e Bima, la base militaire française d’Abidjan. On se souvient aussi de la sortie, il y a deux ans de Muammar Kadhafi, contre la présence de l’armée française en Afrique. “ Personnellement, disait le guide libyen, répondant à la presse française, je n’ai pas encore compris la raison de la présence militaire de la France en Afrique. Qu’est-ce qu’elle veut y faire ? Notre voisin le Tchad, par exemple, a vécu un conflit d’un quart de siècle. Je n’ai pas vu de rôle pour les forces françaises. On ne comprend pas pourquoi elles sont là. Et voyez ce qui se passe en Côte d’Ivoire : je crains que cela n’ait une influence négative sur les relations afro-françaises. Car, il y avait une confiance mutuelle entre l’Afrique et la France. Je crois que c’était une erreur d’intervenir en Côte d’Ivoire. ” La sortie de Alpha Oumar Konaré qui passe pour être l’un des dirigeants africains les plus écoutés et estimés par les occidentaux, vient donc ajouter du poids à cette revendication.
Avec Recamp, Paris ne décampe pas
Quand on parle des bases militaires étrangères en Afrique, on pense d’abord aux bases militaires françaises. Héritage colonial indécent, les bases militaires françaises sont issues des fameux “accords de défense” conclus lors des “indépendances” et jamais approuvés par les instances démocratiques des pays auxquels ils furent imposés. Paris maintient encore cinq bases militaires sur le continent, en Côte-d’Ivoire, à Djibouti, au Gabon, au Sénégal et au Tchad, avec près de 10 000 hommes placés en alerte permanente. De véritables gendarmes des intérêts africains de la France, chargés de le maintenir l’ordre françafricain partout où il est menacé ou perturbé dans le pré-carré. Ainsi que l’explique l’association française “Survie”, “ Le dispositif de bases et troupes militaires françaises en Afrique est depuis plus de 40 ans l’un des piliers de la Françafrique, ce système néo-colonial de confiscation des indépendances africaines, de pillage des ressources, d’escroquerie financière, de dictatures (amies de la France), de manipulations barbouzardes, d’instrumentalisation de l’ethnisme et de fomentation de guerres civiles ”.
Certes, les déconvenues rencontrées sur le continent ces dernières années, au Rwanda, et en Côte-d’Ivoire, ont amené l’ancienne puissance coloniale à revoir considérablement son dispositif militaire en Afrique. D’abord en réduisant le nombre de bases militaires avec, la fermeture envisagée de celle explosive d’Abidjan, et celle de Ndjamena qui paraît parfois faire doublon avec celle de Ndjamena. Ensuite, en modifiant la vocation de ces bases qui devraient dorénavant être placées sous l’égide des Nations unies et de l’Union africaine, dans le cadre du système dit Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix). Reste que, cette réorientation à laquelle l’Afrique n’a pas été associée - et qui n’emporte pas automatiquement l’adhésion des Africains par conséquent -, est une manière française très habile de conserver un droit de regard sur les affaires du continent.
Les Yankees frappent à la porte
Les Français pourraient bientôt ne plus être la seule puissance occidentale à entretenir une armée sur le continent africain ; les Américains annoncent leur arrivée. L’Administration Bush a créé en février 2007 un commandement unifié pour l’Afrique (United States Africa Command) baptisé Africom, chargé de coordonner toutes les activités militaires et sécuritaires des Etats-Unis en Afrique. L’Africom qui devrait commencer à fonctionner en septembre 2008, peine cependant à trouver un pays d’accueil. Les Etats sollicités jusque-là, ont fait montre de bien peu d’enthousiasme. La Communauté de développement de l’Afrique Australe (Sadc), a par exemple clairement indiqué qu’aucun de ses pays membres n’accueillerait les forces américaines. Selon le ministre sud-africain de la Défense, Mosiuoa Lakota, il s’agirait même là, de la “ position continentale ” de l’Union africaine. L’Afrique, dit-il, est opposée à l’installation d’un commandement américain sur le continent.
Le Département américain de la Défense et le Département d’Etat ont beau assurer que l’Africom n’est pas destinée à faire la guerre sur le continent, et, qu’aucun nouveau contingent de soldats américains ne sera envoyé en Afrique, les Africains ont du mal à ne pas y voir une militarisation américaine du continent et une nouvelle manière de Pax Americana, tant les enjeux sont importants et poussent les Américains à vouloir dicter leur loi. Il y a d’abord la guerre contre le terrorisme, la corne de l’Afrique étant devenue pratiquement un foyer de milices plus ou moins liées à l’ennemi traqué, Al-Qaïda, tout comme le Maghreb, de plus en plus en proie au terrorisme islamiste. Il y a ensuite la géopolitique du pétrole. L’Afrique fournit déjà près de 16% du volume des hydrocarbures consommées aux Etats-Unis. Et, les importations américaines de pétrole africain devraient passer à 25% en 2015.
Il pourrait par conséquent apparaître vital pour les Américains de garantir par tous les moyens, leur accès futur à ce pétrole, surtout au moment où la Chine, de plus en plus gourmande, s’intéresse aux matières premières africaines et étend son influence sur ce continent où elle multiplie des accords de développement et de coopération économique. Comment dans ce cas imaginer que les Américains, se gardent de toute manœuvre politique sur le continent ? Qu’est ce qui empêcherait Africom de servir d’appui aux autorités américaines pour soutenir les régimes africains de leur obédience ou encore imposer aux Africains des dirigeants favorables aux intérêts américains ?
Solutions africaines
Autant d’enjeux qui poussent les Africains à souhaiter la fermeture des bases françaises et à s’opposer à l’arrivée d’Africom. Reste que la paix et la sécurité restent un enjeu majeur en Afrique, continent par excellence de toutes les guerres. L’Afrique a-t-elle, en dehors des solutions étrangères, des alternatives pour faire face à ces enjeux ? Elle en a propose en tout cas. La Libye, par exemple, estime que les puissances militaires qui prétendent investir militairement pour garantir la stabilité du continent, devraient plutôt renforcer “ les mécanismes de sécurité de l’Union africaine (Ua) pour qu’ils puissent assurer la sécurité sur le continent ; tout partenariat qui peut aider le continent à résoudre seul ses problèmes étant le bienvenu ”. L’Algérie, un des pays majeurs du continent milite pour la “ mise en place de mécanismes propres aux pays africains ”, et “ des arrangements entre l’Ua et l’Onu ”.
“ L’Afrique doit s’efforcer d’être indépendante idéologiquement, si nous voulons assurer, maintenir la paix et la stabilité le long des frontières, nous devons partager une vision commune sur notre continent ”, soutient le président ougandais, Yoweri Museveni. Et de proposer la création d’une “ armée africaine crédible qui pourrait garantir l’avenir ”. Une solution déjà largement théorisée par Muammar Khadafi. “ S’il y a une défense commune, une force unique pour l’Afrique, comme l’Euroforce pour l’Europe, cette force, en s’appuyant sur les traités de défense commune, et placée sous l’autorité du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, pourra régler toutes les crises. Il faut mettre un terme à toutes les armées nationales en Afrique. Elles ne sont plus nécessaires. Il faut que l’armée africaine unique les remplace. Toutes ces armées sont derrière les conflits, les guerres, les coups d’Etat, les putschs ”, explique le Guide libyen.
Reste à passer de la théorie aux actes.
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