Ibn Khaldûn au prisme de l'Occident
Ibn Khaldûn au prisme de l'Occident
Krzysztof Pomian
Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires,
234 p., 13,50 €.
« Génie exceptionnel pour les uns, miracle pour les autres, il [Ibn Khaldûn] constitue positivement un phénomène prodigieux, au sens où l’on a dit de Berlioz qu’il fut le phénomène le plus prodigieux de la musique du XIXe siècle, en suggérant quelque chose de rare et de surprenant », écrit, à propos de l’historien arabe du XIVe siècle, Abdesselam Cheddadi, traducteur en français du grand œuvre de Khaldûn, Le Livre des exemples (1) – sorte d’histoire universelle des hommes. « Quelque chose de rare et de surprenant » : la formule, Krzysztof Pomian aurait pu la reprendre à son compte, au seuil du très bel essai qu’il lui consacre aujourd’hui – une réflexion qui n’est pas d’orientation biographique ou monographique, mais s’emploie plutôt à mettre en regard la démarche intellectuelle d’Ibn Khaldûn et celle des historiens occidentaux qui lui furent contemporains, afin que de cette comparaison se dégagent tant l’ancrage de Khaldûn dans son temps et sa culture (l’islam médiéval) que sa parfaite singularité, son exceptionnelle stature intellectuelle.
Ignoré pendant des siècles, Ibn Khaldûn (1332-1406) fut redécouvert en Occident il y a deux cents ans de cela et considéré alors pêle-mêle et tour à tour comme le père de la science historique, le premier sociologue de l’histoire des hommes, le précurseur de l’anthropologie, l’initiateur d’un islam des Lumières… S’appuyant sur une lecture attentive du Livre des exemples, l’analyse de Krzysztof Pomian met tout ceci à plat, non pour le contredire, mais pour partout introduire de la nuance, éclairer, soupeser, comparer. Et ainsi mesurer, par exemple, comment s’articulent, chez Ibn Khaldûn, foi profonde et quête d’intelligibilité du réel ; comment s’organisent, dans sa spéculation, le respect du sacré et l’intérêt pour le profane, une stricte inscription dans l’islam et l’enseignement incontesté du Prophète, et une assimilation des théories aristotéliciennes. Et ainsi évaluer, encore, l’exceptionnelle « éthique » de Khaldûn l’historien, sa méthode, qui en fait un moderne et un précurseur : « Il parle en son nom propre, écrit Pomian. Il fait un vrai travail de recherche dans les dépôts d’actes, dans les ouvrages des historiens, ses prédécesseurs, et surtout – chose, de son temps, extraordinaire – sur le terrain. Et il le fait de façon méthodique […]. Il enquête, il auditionne, il écoute, il regarde [...]. Il unit la rigueur du savant à l’œil du reporter. »
Parce que Khaldûn unit aussi « deux démarches séparées et assignées à deux modalités différentes d’activité intellectuelle : celle du savant et celle de l’écrivain », c’est du chroniqueur Froissart, qui fut son exact contemporain de l’autre côté de
(1) Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque de
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