Islam de marché ou marché de dupes ?
Par Haoues Seniguer
Le mois sacré du Ramadan, du moins consacré comme tel en islam, est devenu en Occident, plus que partout ailleurs sans doute, avec la présence massive de millions de musulmans principalement nés et socialisés en terre occidentale, un moment privilégié, une période particulièrement attendue parce qu’économiquement prolifique, du fait d’une observation accrue de cette pratique rituelle canonique.
Les commerçants ou PDG des grands groupes sont évidemment les premiers à s’en réjouir ainsi que des entrepreneurs musulmans opportunistes. Le musulman n’est-il finalement jamais aussi choyé, ménagé, flatté dans ses croyances, que lorsqu’il participe inlassablement à la prospérité économique de son pays. Cela personne n’y trouve rien à redire dans notre paysage politique sauf à de très rares exceptions.
En France, avec près de cinq millions de personnes de religion et/ou de culture musulmane(s), la fabrication, la confection et la commercialisation de produits dits Halal a progressé sur presque la totalité du pays. On en trouve à présent, disponibles sur les étales de la quasi-totalité des grandes surfaces de l’hexagone, offres peu ou prou diversifiées d’ailleurs, suivant la concentration des populations cibles, comme par exemple dans les agglomérations lyonnaises et parisiennes.
Ces produits génèrent une telle manne financière, du reste à ce point considérable qu’il est difficile de l’évaluer avec exactitude, que le marché du Halal est l’objet de toutes les convoitises et sujet à d’âpres concurrences. Cette manne supposée importante suscite à ce titre, au sein même de la communauté musulmane française, de profondes rivalités.
Des produits aussi divers que des quenelles, choucroute, raviolis, saucissons, hachis Parmentier (on en passe et des meilleurs) estampillés Halal, prospèrent désormais au rayon « oriental » de nos grandes enseignes, sans compter les échoppes des petits commerçants ou détaillants de quartiers populaires qui en regorgent également.
S’il faut assurément se réjouir de la variété des produits de type Halal accessibles aujourd’hui aux musulmans, contribuant ainsi à leur laisser une plus grande liberté de choix, on ne saurait être naïfs cependant, sur certains des effets pervers de cet « islam de marché », pour reprendre une expression du chercheur suisse Patrick Haenni qui en a analysé les principaux rouages dans un ouvrage éponyme (1).
Les piliers de l’islam, les dogmes sont par conséquent et d’une certaine façon, fatalement instrumentalisés jusqu’à perdre de leur esprit ; au service d’un gigantesque business, dans un monde mondialisé, où l’on loue, jusqu’à plus soif, les vertus incommensurables de l’économie de marché capitaliste. Et ce au nom de la liberté d’entreprendre et de l’argent roi.
Même l’islam en pratique, pourtant soi-disant rétif à la modernité à en croire les plus puristes d’entre les musulmans et parmi les plus mal avisés (islamophobes), est pénétré, au même titre que le protestantisme à bien des égards, par des intérêts hautement utilitaristes. Est-ce inexorable ? On ne peut le nier.
Alors même qu’il y a à peine quelque dizaine d’années, il fallait, pour les musulmans attachés à la norme religieuse, faire quelquefois plusieurs centaines de kilomètres pour se fournir en viande cachère et acheter tout une gamme d’aliments contrôlés par les autorités religieuses, affiliées aux grandes mosquées françaises, voilà que les biens de consommation tant recherchés arrivent dans nos villes. Faut-il forcément s’en réjouir ? Rien n’est moins sûr.
En effet, depuis quelques années, les filières se sont multipliées pour le meilleur et surtout pour le pire, ne serait-ce que par rapport aux nombreuses suspicions qui pèsent plus que jamais sur la qualité et l’authenticité de certaines marques et/ou tampons « Halal ». Des personnes peu scrupuleuses sembleraient utiliser et vendre de pseudo certifications qu’ils délivreraient ainsi en toute impunité à des acheteurs prêts à tout, pour participer aux immenses débouchés offerts par le marché du Halal.
Il est grand temps, que nous autres musulmans, peut-être trop consuméristes et pas assez vigilants, particulièrement ceux-là mêmes qui sont censés nous représenter à l’échelon régionale et nationale (CRCM et CFCM), nous nous attelions davantage et beaucoup plus sérieusement à ce problème d’authentification de la viande et de tous les produits dérivés.
Le jeûne est sans doute un moment festif au cours duquel se scellent retrouvailles entre amis et proches, certes une dimension non négligeable, mais il n’est certainement pas que cela. Il est également un moment spirituel intense où l’on exerce, par la réflexion et la méditation, notre liberté face aux instincts de toute nature et à « l’appel du ventre ». Le mois du Ramadan est donc surtout là pour nous rappeler à nos obligations et nos devoirs tant spirituels que sociaux.
(1) Patrick Haenni, L’islam de marché, Seuil, Paris, 2005.
Par Haoues Seniguer,
Doctorant en sciences politiques à l’Institut d’Etudes Politiques et Internationales (IEPI) de Lausanne.
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