Saturday, February 25, 2012

L'heure du grand nettoyage

L’heure du grand nettoyage ?

Défaits par le Gabon et la Tunisie lors des deux premiers matchs de poule, le Maroc et le Niger se retrouveront lundi pour un match qui compte pour du beurre. Leurs deux bourreaux se disputeront eux la première place du groupe, synonyme d’un quart de finale plus clément face à une équipe peut-être moins redoutable.

Sans surprise

A priori, rien ne justifie cet optimisme béat qui précède, à chaque fois, la participation du Maroc à une phase finale de la CAN. Ni l’histoire : hormis les éditions de 1976 (victoire finale), de 1980 (3ème place) et de 2004 (défaite en finale), le Maroc a rarement été un adversaire redoutable. Ni la notoriété : le Maroc a toujours été incapable d’inscrire ses performances dans la durée et de préserver un niveau régulier traduit par des résultats stables et une présence constante dans le dernier carré. Ni la forme du moment : le parcours en éliminatoires est loin d’être brillant, malgré cette victoire à Marrakech face à une équipe d’Algérie très diminuée et incapable de renouveler son ossature. Pour acquérir le statut de favori, une équipe doit être capable d’aligner une quinzaine de matchs réussis, d’identifier de multiples solutions, d’apprendre à gagner même en étant malmenée. Or, après la victoire face à l’Algérie, cette équipe a été incapable d’aller gagner en Afrique centrale malgré une large domination, d’où un flagrant manque d’efficacité.

Et pourtant, à la veille de chaque participation, matraquage médiatique, mise en avant de quelques succès (étriqués parfois, mais peu importe) et floraison de chansons, forment un mélange inédit capable d’inhiber l’activité de réflexion et de pousser les plus avertis à l’optimisme.

Fin du modèle Bling-Bling

Deux ans et demi après l’arrivée de l’actuel président de la FRMF, celle-ci a engagé deux entraîneurs qui ont coûté très cher au contribuable marocain. Outre l’aspect exhorbitant des conditions salariales de Roger Lemerre et d’Eric Gerets, la FRMF a été contrainte de mettre la main à la poche à cause de l’incompétence des responsables qui négocient les contrats à chaque fois. La résiliation du contrat bétonné de Lemerre a coûté très cher. Certaines sources avaient avancé à l’époque le montant de 2,7 million d’euros, mais ces chiffres restent difficiles à vérifier tant la plus grande discrétion et opacité entourent ces arrangements, élevés au rang de secrets d’État.

Lemerre limogé, la FRMF étudie les différentes pistes et une seule semble l’intéresser, voire l’obséder : celle menant à Eric Gerets, engagé à l’époque avec le club saoudien d’Al Hilal. Le poste est longtemps resté vacant en attendant que le magicien belge puisse se libérer de ses engagements pour prendre en charge une équipe nationale « pétrie de talents mais en quête d’un tacticien. » Son arrivée étant conditionnée par l’élimination de son équipe qui jouait l’Asian Champions League, le supporter marocain se retrouve fort intéressé par cette compétition totalement insignifiante pour lui et à laquelle il n’y prête attention que par intermittence, à l’occasion d’une réalisation d’Aboucherouane contre un adversaire iranien, en pleine crise diplomatique entre le Maroc et l’Iran. Bienvenue au Royaume de l’absurde.

Soucieux de se distinguer de l’équipe sortante, le nouveau bureau de la fédération s’est efforcé à se donner l’image d’une structure moderne, organisée, et efficace. Profitant de l’ouverture de nouveaux stades, du transfert de Chamack à Arsenal, et du développement des média consacrés au sport –garantissant un suivi régulier et une couverture de toutes les activités-, la nouvelle équipe aura essayé de tout faire pour se montrer indispensable, mais son principal pêché demeurera cette confusion des rôles entre gestionnaires, sportifs, hommes d’affaires véreux et politiques.

L’élimination dès le premier tour d’une équipe composée majoritaitement de joueurs professionnels, évoluant dans des clubs prestigieux et au talent prometteur sonne le glas d’un modèle bling-bling basé sur l’attrait de joueurs de renom et ayant pour bras médiatique un ministre fin orateur et omni-présent.

Relancer l’équipe des locaux

Le football n’est plus un sport comme les autres, mais une science à part entière où rien ne doit être laissé au hasard ou à l’improvisation. Les vraies remèdes ne sont pas difficiles à identifier, mais une vraie volonté est nécessaire à leur mise en œuvre. Construire une équipe nécessite un travail de longue haleine étalé sur plusieurs années, basé sur une politique généreuse et ambitieuse de formation, une réhabilitation du joueur local, souvent ignoré et méprisé, au profit de joueurs nés en Europe. Les professionnels sont le ciment de toute grande équipe, mais à condition que leur statut de joueurs professionnels soit lié à une obligation de rendement et de résultat, et qu’il ne constitue plus un passe-droit. A plus forte raison quand ces joueurs professionnels, quelques minutes seulement après avoir égalisé sur penalty dans un match capital, trouvent le moyen de gaspiller une nette occasion de but, alors qu’ils sont en nette supériorité numérique. Rien n’illustre autant le nauffrage collectif de l’équipe que ce ballon très mal négocié. La victoire, tout comme la défaite, se joue à quelques détails près…

Certes, le championnat national demeure faible, mais le Gabon, le Niger, la Zambie et bien d’autres équipes formées majoritairement de joueurs locaux, issus de championnats nettement moins relevés et compétitifs que le nôtre, ont pu tirer leur épingle du jeu et forcer le respect. Ils ne disposent ni de stars bling-bling, ni d’entraîneurs de renommée mondiale. Ils travaillent durement, se préparent avec les moyens disponibles, s’accomodent des conditions de jeu en Afrique, sont encadrés convenablement et se rassemblent régulièrement.

On ne peut plus se permettre de luxe de ne rassembler les joueurx locaux qu’à la veille d’un match qualificatif pour le Championnat d’Afrique des nations (CHAN). Oui, notre équipe locale a perdu contre la Tunisie, mais seul un observateur perfide croyant aux vertus de l’improvisation peut croire en les chances d’une équipe réunie la veille d’une écheance importante, confiée à un entraîneur désigné lui-même de manière précipitée. La preuve la plus flagrante du dénigrement du joueur local, est l’absence de toute stratégie de suivi et d’encadrement depuis cette élimination face à une Tunisie composée de joueurs évoluant dans les prestigieux clubs locaux, grands habitués des coupes africaines. Combien de fois cette équipe s’est-elle réunie en concentration depuis ce match ? Combien de matchs amicaux a-t-elle eu l’occasion de disputer ? Qui en est l’entraîneur ? Pourquoi avoir tout simplement tué dans l’œuf cette équipe éliminée par la Tunisie –futur vainqueur du CHAN !- uniquement à la faveur des buts marqués à l’extérieur (1-1 à Sousse, 2-2 à Casablanca) ? La réponse est simple et sidérante à la fois : le joueur local importe peu. Tout au plus l’entraîneur national fera appel à un gardien issu du championnat national, cette spécialité n’étant pas couverte par les joueurs de la diaspora.

Gabon, ce révélateur de lacunes

« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. » Cet adage est particulièrement vrai pour la FRMF. Longtemps à la tête de cette fédération, le Général de corps d’armée Hosni Benslimane n’a envisagé de passer le flambeau à son actuel successeur, M. Ali Fassi-Fihri, qu’après une énième crise suite à une humiliante défaite à Casablanca, en match d’ouverture des éliminatoires de la Coupe du monde 2010.

Force est d’admettre qu’il y a parfois des coïncidences troublantes : arrivé en avril 2009 après cette défaite à domicile contre le Gabon, Ali Fassi Fihri, désigné illégalement et non élu, convient-il de rappeler, se retrouve aujourd’hui au pied du mur après cette élimination peu honorable face à ce même Gabon.

Il est peu probable qu’un président dont la désignation a été entachée d’irrégularités, dispose de la clairvoyance nécessaire à la mise en œuvre des réformes indispensables pour sauver un élève qui rentre plus tôt que prévu au bercail, avec un bulletin où on peut lire : « A touché le fond mais creuse encore. »

Jaâfar AMARI

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Thursday, June 05, 2008

L'injuste justice

« Au fond d’une geôle israélienne croupit depuis quatre ans le plus populaire de tous les leaders palestiniens, le seul qui, s’il était libre, serait, selon les mêmes sondages, en mesure de battre le Hamas et d’être l’interlocuteur d’une vraie paix : Marwane Barghouti. Cet homme de 49 ans a été condamné cinq fois à la prison à vie pour son implication indirecte dans des opérations de guérilla qui ont fait, côté israélien, cinq morts. Incarcéré pour « terrorisme », donc. Comme avant lui le furent Mandela et Ben Bella - et comme ne le furent jamais, pour des faits pourtant infiniment plus meurtriers et avérés, les ex-Premiers ministres Menahem Begin et Itzhak Shamir, « héros » il y a soixante ans de la naissance d’Israël. »

SOUDAN, François, « Nakba », Jeune Afrique l’Intelligent, N° 2471, du 18 ay 24 mai 2008, p.6

Hommage à Majid el-Houssi

Majid el-Houssi
L’écrivain et universitaire tunisien est décédé le 10 mai en Italie, son pays d’adoption. Il avait 66 ans.


« Majid est parti. » C’est sur ces simples paroles que Pia, son épouse, a annoncé la nouvelle. Avant d’ajouter : « Il a préféré rester avec nous. Il ne sera pas enterré à Aïn Draham, mais à Florence. »

Tel était Majid el-Houssi, décédé le 10 mai des suites d’une longue maladie. Tunisien d’origine et de cœur mais épris d’une folle passion pour l’Italie. C’est dans ce pays qu’en 1962, alors jeune bachelier, il pose ses bagages. Et c’est là que, pendant des années, sa maison a accueilli nombre d’écrivains maghrébins devenus aujourd’hui célèbres : Tahar Ben Jelloun, Abdelwahab Meddeb et bien d’autres encore. Pia recevait tout ce monde sans façon et écoutait ses hôtes disserter durant des heures sur la littérature, l’islam, la Méditerranée. Puis Majid les emmenait visiter Padoue ou Venise, faisant le guide des musées et des demeures célèbres, commentant les fontaines historiées et les statues… Puis il invitait ses amis dans un de ces excellents restaurants qui le recevaient comme un prince. Car Majid, qui avait le verbe évocateur des poètes, possédait également l’allure majestueuse des princes.

Malgré sa passion pour la Péninsule, Majid n’a jamais rompu avec la Tunisie. Les souvenirs de son enfance à Aïn Draham, petite cité du Nord tunisien, sont très présents dans ses pages dédiées à l’Italie, comme dans Une journée à Palerme (2004). À Tunis, il retrouvait souvent ses amis et lecteurs. Il y fut décoré du titre de Grand Officier au mérite éducatif de la République tunisienne.


Majid el-Houssi aura été ce qu’on appelle un « pont », un de ces rares passeurs qui n’ont de cesse de renouer des liens au travers de l’histoire de la Rencontre (il écrivait toujours ce mot avec une majuscule) des cultures. Toute son œuvre en témoigne, soit une vingtaine d’essais et huit romans centrés sur le thème de la sédimentation culturelle, du voyage des mots (Les Arabismes dans la langue française), ou des influences littéraires : « La plupart de mes textes, confiait-il, ne sont qu’un va-et-vient entre les deux rives, un dialogue continu entre la Tunisie et l’Italie. Une des facettes de sa passion fut, en particulier, de chercher dans l’architecture comme dans les coutumes européennes, dans les mots comme dans les rituels, les influences arabes que l’Europe « ne peut nier sans commettre un auto-génocide », affirmait-il. C’est à lui qu’on doit les plus belles pages sur l’empereur Frédéric II (1194-1250), figure symbole du dialogue islamo-chrétien ; de riches investigations sur les sources de la civilisation arabo-normande ; et les rencontres dans les universités italiennes des francophones du monde entier. Car ce Tunisien d’Italie était aussi un francophone pur jus. Directeur de l’institut des langues à l’Université polytechnique d’Ancône puis professeur titulaire de la chaire linguistique Ca’Foscari de Venise, il avait pour charge l’enseignement du français. Une langue dans laquelle il a écrit toute son œuvre.

La dernière fois où j’ai vu Majid el-Houssi, c’était à Tunis, il y a six mois. Il avait beaucoup maigri et se déplaçait avec difficulté. Mais son regard avait gardé la même pétillance, et sa voix son trémolo latin. Pia m’avait chuchoté : « Il a dit que c’est son dernier voyage en Tunisie. » Elle savait qu’il savait. Et qu’il avait déjà choisi de reposer loin des plaines de Aïn Draham et du mausolée de ses ancêtres. Mais peut-être est-ce là, la vraie, l’ultime Rencontre avec l’Autre : accepter de passer l’éternité chez lui. Que la Méditerranée des deux rives le berce en paix !

Monday, February 11, 2008

Insanity

« Insanity in individuals is something rare – but in groups, parties, nations and epoches, it is the rule. »

« La démence, chez l’individu, est quelque chose de rare – chez les groupes, les partis, les peuples, les époques, c’est la règle. »

Nietzsche

Le nouveau défi de l’internationalisme des peuples

Samir Amin : " Le nouveau défi de l’internationalisme des peuples "


Huit ans après le premier Forum social mondial, l’intellectuel égyptien et marxiste retrace des grandes évolutions historiques du capitalisme et interroge les alternatives que dessinent bouleversements géopolitiques du début du siècle.
Samir Amin est membre du Conseil international du Forum social mondial et président du Forum mondial des alternatives.
Il est auteur de très nombreux ouvrages d’analyse économique et politique et de géopolitique. Il participait à Paris au colloque « Altermondialisme et post-altermondialisme » organisé par l’association Mémoires des luttes et la revue Utopie critique.

Comment analysez-vous les développements actuels de la crise économique et financière à l’échelle mondiale ?
La financiarisation du système libéral, considérée par beaucoup comme une forme nouvelle, durable du capitalisme, n’était à mon avis que le moyen conjoncturel pour le capital de surmonter ses contradictions. La croissance des revenus du capital et la réduction de ceux du travail ne peuvent être poursuivies indéfiniment. Le versant financier du système était son talon d’Achille. Les subprimes ne sont pas la cause de la crise, qui est systémique, mais seulement l’accident de parcours qui l’a déclenchée. Après la privatisation des profits, les forces dominantes en place vont s’employer à en socialiser les pertes, c’est-à-dire à les faire payer aux travailleurs, aux retraités et aux pays vulnérables du tiers-monde.

Le capitalisme, comme système historique, est, selon vous, dans une phase de « déclin ». Qu’est-ce qui justifie une telle analyse ?
Le système capitaliste, comme système historique, a connu une très longue maturation. Au contraire, son apogée, amorcé au plan politique par la Révolution française et au plan économique par la révolution industrielle, s’est concentré sur le XIXe siècle, c’est-à-dire sur une période très courte. La fin de cet apogée est annoncée très tôt, dès 1871, par la Commune de Paris et peu après, en 1917, par la première révolution au nom du socialisme, la révolution russe. Contrairement aux apparences et aux opinions dominantes, le capitalisme est entré, alors, dans une longue période de déclin. Remis en cause au XXe siècle, comme système économique, social et politique par les projets alternatifs (socialistes, communistes), il est également confronté au contraste grandissant qu’il a lui-même produit entre les centres dominants et les périphéries dominées. Ce contraste a alimenté la révolte, le refus des peuples dominés de s’ajuster, d’accepter cette domination et la dégradation des conditions sociales qu’elle engendre.

Comment s’articulent ces deux dimensions - idéologique et géopolitique - de la remise en cause du capitalisme ?
Elles sont indissociables. Tout simplement parce que le capitalisme réellement existant, comme système mondialisé, est impérialiste par nature. Cette indissociabilité a été formalisée, au siècle dernier, par les révolutions socialistes qui ont pris corps aux périphéries du système capitaliste. Je pense aux révolutions chinoise, vietnamienne et cubaine. Cette association, au XXe siècle, entre les deux dimensions de la remise en cause du capitalisme constitue en quelque sorte une première « vague ». Celle des révolutions au nom du socialisme, des grands mouvements de libération nationale avec des degrés divers de radicalité, du non-alignement, de l’anti-impérialisme. Cette première vague a atteint ses limites historiques assez rapidement. Elle s’est essoufflée. Très rapidement, dans le cas des pays du tiers-monde sortis de la libération nationale. Moins rapidement dans le cas des révolutions au nom du socialisme. Mais le résultat est le même : cette première vague s’est émoussée, puis exténuée.

Vous estimez néanmoins qu’une seconde « vague » de remise en question d’ensemble du système mondialisé peut prendre naissance. Mais comment ?
Entre la vague qui s’est épuisée et la nouvelle vague, possible et nécessaire, du XXIe siècle, il y a un creux. Dans ce creux, les rapports de force sociaux, politiques, sont inégaux. Tellement inégaux qu’ils permettent une contre-offensive du capital, renforcée par les illusions de la fin de l’histoire, de l’effacement totale de la première vague.
Ce qui permet au néolibéralisme de construire un discours réactionnaire, et non pas « libéral », comme il se prétend. C’est un discours de retour au XIXe siècle, sur le modèle du discours de la Restauration, qui illustrait, en France, l’aspiration à un retour avant la Révolution. Sarkozy est la parfaite illustration de ce discours réactionnaire.
Ce qu’il appelle « réformes » désigne en réalité des contre-réformes visant l’abolition de tout ce que les travailleurs ont conquis au cours du XXe siècle.
Nous sommes dans ce creux. Mais nous voyons déjà se dessiner sur l’océan les premières rides de ce qui peut devenir la nouvelle vague. On peut les voir, par exemple, dans ce que j’appelle les avancées révolutionnaires de l’Amérique latine. Le processus que connaît ce sous-continent est caractéristique. Il est à la fois anti-impérialiste (particulièrement anti-yankee, puisque c’est l’impérialisme nord-américain qui domine brutalement cette région du monde) et à aspiration socialiste. Cette aspiration est formulée de façons diverses, parfois vagues, parfois plus précises, voire dogmatiques.
Mais il est intéressant de constater qu’anti-impérialisme et aspiration socialiste sont, là encore, indissociables.

Vous évoquez des « avancées révolutionnaires » en Amérique latine. Qu’entendez-vous exactement par là ? Quelle différence faites-vous avec la révolution ?
Je crois qu’il faut voir ce long déclin du capitalisme comme pouvant devenir une longue transition vers le socialisme mondial. « Longue » signifiant ici qu’un tel processus historique pourrait prendre plusieurs siècles, cette transition impliquant des vagues successives. La tradition communiste a pensé la révolution et la construction du socialisme comme des possibilités relativement rapides, dans un temps historique court, sur des années ou des décennies. Je préfère, aujourd’hui, parler d’avancées révolutionnaires plutôt que de révolution. « Révolution » inspire l’idée, fausse, que tous les problèmes pourraient être réglés du jour au lendemain. Des « avancées révolutionnaires » correspondent, à mes yeux, aux amorces de mise en place d’autres logiques que celles du capitalisme. Elles peuvent, à leur tour, préparer d’autres avancées, des « vagues » ultérieures. Mais il n’y a pas, en la matière, de déterminisme historique. Il y a des nécessités objectives, au sens hégélien du terme, mais pas de déterminisme absolu. Si cette transition vers le socialisme ne devait pas s’opérer, le scénario serait celui d’une longue transition vers toujours davantage de barbarie. Les deux possibilités coexistent.

Ce creux de la vague est propice, dites-vous, au développement de toutes sortes d’« illusions » sur le capitalisme. Qu’est-ce à dire ?
« Le vieux monde se meurt. Le nouveau monde tarde à paraître. Et dans ce clair-obscur les monstres surgissent », écrivait Antonio Gramsci.
Cette phrase m’a toujours frappé par sa justesse et sa puissance. On peut dire que l’ancien monde, celui de la première vague de remise en cause du capitalisme, est mort. La seconde vague est en train de naître. Dans ce clair-obscur, les « monstres » prennent la forme de personnages comme Bush, Sarkozy, Berlusconi, d’un côté, comme Ben Laden et ses complices de l’autre. Mais ce clair-obscur est aussi un moment de grandes illusions, que l’on peut classer en trois familles. Elles se répartissent dans le monde en des lieux différents, l’une ou l’autre est dominante selon les régions, mais elles existent et coexistent partout.
Appelons la première l’illusion « sociale-démocrate ». C’est l’illusion d’un capitalisme à visage humain. Elle a pu se traduire dans un projet politique à certains moments de l’histoire du capitalisme, quand le rapport de forces était plus favorable aux classes populaires. Je ne dénigre pas du tout ce qu’ont réalisé les régimes du « welfare state » après la Seconde Guerre mondiale. Mais ces réalisations n’auraient pu voir le jour sans la « menace communiste » qui hantait alors la bourgeoisie. Cette menace était incarnée, aux yeux des dominants, par l’URSS.
En réalité, la menace n’était pas tant celle du communisme ou de l’URSS que la menace que représentaient pour eux leurs propres peuples.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les retraites par répartition, les régimes spéciaux ou la Sécurité sociale auraient été impensables sans la puissance, dans le cas français, du Parti communiste. C’est vrai un peu partout dans le monde, sous des formes différentes. Ce capitalisme à visage humain n’est donc envisageable que dans les périodes d’affaiblissement du capital.
En revanche, lorsque la domination du capital est assise, forte, il n’a pas du tout de visage humain. Il prend son visage réel, un visage tout à fait sauvage. Nous sommes dans un moment de ce genre.
Dès lors, croire, aujourd’hui, dans la possibilité d’un mouvement vers un capitalisme à visage humain relève de l’illusion. Une illusion grave et dangereuse, dans la mesure où elle désarme les classes populaires en leur faisant miroiter la possibilité d’avancées sans luttes, sans renversement des rapports de forces en leur faveur. Cette famille d’illusions est dominante en Europe occidentale.
Dans les pays dits émergents, ce sont les illusions nationalistes qui dominent. Ce type d’illusions consiste à considérer que des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, assez forts, désormais, pour entrer dans le système capitaliste mondial, peuvent s’imposer comme des partenaires à égalité avec les anciennes puissances. Ces illusions sont nourries par une abondante littérature sur la crainte de « l’hégémonisme chinois montant », presque une variante de la peur du « péril jaune ».
À cette littérature en répond une autre, nationaliste celle-là, faisant l’éloge des évolutions en Chine et ailleurs.
En réalité, les rapports de forces internationaux, la domination du capital financier, de l’impérialisme collectif des États-Unis, de l’Europe et du Japon ne permettra pas à ces pays de jouer à égalité, sur la scène mondiale, avec les vieilles puissances.
Le langage de plus en plus agressif vis-à-vis de la Chine en témoigne. Ce langage trouve déjà sa traduction, dans le réel, avec des agressions brutales visant des pays faibles, comme l’Irak. D’autres pays, moins faibles, mais qui sont néanmoins des puissances moyennes, comme l’Iran, sont à leur tour menacés. Derrière ces agressions se profile, en réalité, la volonté des États-Unis d’envisager jusqu’à une guerre contre la Chine si celle-ci devenait trop menaçante pour leurs intérêts. Dans un tel contexte, croire que les pays émergents pourront s’imposer dans le système pour rompre avec la logique capitaliste est une illusion.
La troisième série d’illusions, la pire, recouvre les passéismes. Ces illusions-là frappent les peuples défaits dans l’histoire. C’est le cas des pays arabes, et, plus largement, des pays islamiques, mais aussi de l’Afrique subsaharienne, tentés par la recherche de solutions dans les « racines », dans la reconstruction aberrante d’un passé mythique qui n’a jamais existé.
Ces passéismes se déguisent facilement. La religion, l’adhésion à la religion s’y prêtent, de même que la revendication de racines « ethniques » ou « tribales ».
Ces illusions se fondent sur une pseudo-authenticité fabriquée, qui n’a rien à voir avec la réalité. Nous sommes dans un moment où ces trois illusions travaillent des sociétés différentes.

Vous proposez, dans votre dernier livre Pour la Cinquième Internationale, de favoriser la cristallisation de la deuxième vague critique du capitalisme. De quelle manière ?
Le moment de démoralisation des forces populaires, des ralliements aux idées selon lesquelles le « socialisme était définitivement vaincu » et le capitalisme était devenu « la fin de l’histoire » ont cédé la place, dès la fin des années quatre-vingt-dix, à l’appel au combat pour un autre monde, meilleur. Les forums sociaux altermondialistes ont été l’un des lieux donnant une visibilité aux luttes. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que la convergence de ces luttes se cristallise dans des stratégies cohérentes et efficaces, capables de mettre en déroute les projets de contrôle militaire de la planète par les États-Unis et leurs alliés, d’ouvrir des voies nouvelles au socialisme du XXIe siècle, un socialisme plus authentiquement démocratique que celui de la vague du XXe siècle. Associer le combat démocratique au progrès social, reconstruire sur cette base l’internationalisme des peuples face au cosmopolitisme du capital, tel est le défi auquel la gauche est confrontée dans le monde entier.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui - Avec l’Humanité du 1er Février 2008

Wednesday, January 23, 2008

La douce revanche de Fouhami

La douce revanche de Fouhami


Le 14 février 2004. Au terme d’un parcours sans faute et héroïque, l’équipe nationale marocaine parvenait, après des sorties ratées lors des précédents éditions, à se hisser en finale de la Coupe d’Afrique des nations. La performance est inédite, car le Maroc atteint ce stade de la compétition pour la deuxième fois seulement en 11 participations. Le pays entier est en liesse, le temps semble s’arrêter, et tous les engagements suspendus. Un peuple entier mène le même train de vie, rythmé par les performances de l’équipe menée alors par Baddou Zaki.

Malgré la défaite en finale, un accueil chaleureux sera réservé aux lions de l’Atlas à leur retour. Tous les joueurs ayant participé à cette épopée sont adulés. Tous sauf un. Il porte pour nom Khalid Fouhami. Gardien de but et dernier rempart de l’équipe. Irréprochable tout au long de la compétition, il n’a commis qu’une seule erreur, celle, fatale, qui offrira le sacre au pays organisateur, la Tunisie.

Amnésie des uns, injustice des autres, mais surtout une mémoire courte chez les uns et chez les autres : Fouhami est un parfait bouc-émissaire pour justifier ou expliquer un échec, une défaite. On oubliera tous facilement son arrêt décisif et presque miraculeux sur un tir de Malek Cherrad en quart de finale face à l’Algérie, alors que le Maroc était déjà mené 1-0. Sans cette splendide détente, le match aurait été plié. Á 2-0 vers la 88èmeminute, c’était le K.O. L’homme reste dans l’ombre et accepte ce jugement trop hâtif et subjectif. En bon professionnel, il préfère l’autocritique. Pourtant, il a été irréprochable tout au long de la compétition. Et avec ses années de professionnalisme, il demeure le gardien le plus sûr de ces dernières années. Non, il n’est pas parfait. Il a ses atouts comme ses points de faiblesse. Et il se situe surtout un cran au-dessus de tous les gardiens testés en équipe nationale lors de ces dernières années. Son principal pêché est de ne pas ressembler à son entraîneur en équipe nationale en 2004, Baddou Zaki, dans un pays qui rêve chaque jour de trouver un digne successeur à ce grand gardien, légendaire certes, mais idéalisé également, comme toutes les grandes figures du football international.

Sacrifié sur l’autel de la vox populi, désigné personne non grata par la sagesse populaire, Fouhami se retire sans faire de bruit ni créer de remous. Il prendra le temps nécessaire pour réfléchir à la suite à donner à sa carrière, et tâchera surtout de panser sa blessure. Il digérera l’ingratitude des supporters et acceptera l’injustice du sport auquel il a dévoué toute sa vie, tout en continuant à croire en son potentiel.

Lorsque le Raja, en pleine crise de gardiens après le départ impromptu de Chadli vers le MAT, frappe à sa porte, il accepte de rejoindre les aigles verts et de rentrer au bercail. Souvent décisif au cours de la saison dernière où le Raja a été en déca de son niveau, il a représenté, tout au long d’une saison très difficile et parfois même cauchemardesque avec les verts, l’un des rares points de lumière et l’une des extraordinaires satisfactions, signant ainsi son retour en force sur la scène nationale, et se présentant davantage comme un sérieux candidat sélectionnable en équipe nationale.

Et pourtant, en ce début de saison 2007/2008, la tâche de Fouhami se complique. Arrivé cet été en provenance du MAS, Mohamed Amine Bourkadi, demi-finaliste de la Coupe du monde junior avec l’équipe nationale marocaine en 2005, est le gardien le plus doué de sa génération. Les observateurs voient en lui le futur gardien de l’équipe nationale. Les plumes de circonstances et les analystes occasionnels ont trouvé en lui leur « nouveau Zaki ». Relégué sur le banc de touche en début de saison, Fouhami, en bon professionnel, a patienté et attendu sa chance. Du haut de ses années d’expérience, Khalid a surtout appris que le travail acharné et la rigueur finissaient par payer. Attitude digne d’un homme expérimenté, face à une situation qui aurait provoqué l’agacement des jeunes éléments. Ils tiennent là en Fouhami, avec son sérieux et son sens du professionnalisme, un véritable exemple à méditer.

Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Cet adage, Khalid Fouhami l’a assimilé et en a fait une éthique et une ligne de conduite. Et il en a été récompensé, le plus naturellement du monde. Rappelé par Henri Michel en vue de disputer la Coupe d’Afrique des nations, Fouhami a retrouvé les cages de l’équipe nationale qu’il n’avait plus gardées depuis ce faux-pas en Tunisie dont on lui a attribué, à lui seul et injustement, l’entière responsabilité.

Titulaire au cours de la première rencontre de poule face à la Namibie, Fouhami retrouve une place qu’il mérite et prend ainsi, au terme de quatre années de persévérance et d’opiniâtreté, une très douce revanche.

Bravo Khalid !

Jaafar AMARI

Thursday, January 10, 2008

Analphabétisme dans le monde arabe

Le tiers de la population du monde arabe analphabète, selon l'ALECSO

L'Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (ALECSO) a lancé mardi un signal d'alarme devant le nombre élevé d'analphabètes dans le monde arabe.

Selon l'organisation panarabe, qui se réfère aux chiffres publiés par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), sur une population globale de quelque 335 millions d'âmes, 99,5 millions sont analphabètes, soit le tiers de la population de l'ensemble des 21 pays arabes (29,7%). Le phénomène touche les personnes de plus de 15 ans. Il affecte quelque 75 millions d'individus de la tranche d'âge de 15 à 45 ans, dont près de la moitié de femmes (46,5%).

Dans un communiqué publié à l'occasion de la journée arabe de lutte contre l'analphabétisme, l'ALECSO dont le siège se trouve à Tunis, déplore que les nombreux efforts déployés à l'échelle du monde arabe pour venir à bout de l'analphabétisme n'aient pas donné les résultats escomptés.

Elle formule plusieurs suggestions pour remédier au fléau, notamment la généralisation de l'enseignement de base, l'adoption de législations contraignantes en matière de lutte contre l'analphabétisme, l'intensification des campagnes ayant pour but l'alphabétisation des filles et l'implication de la société civile arabe dans cette action.

Les Etats arabes ont adopté en juillet dernier un plan d'action initié par l'ALECSO dans le but de promouvoir l'éducation et préconisé une collaboration avec des organismes régionaux et internationaux spécialisés.

Monday, November 12, 2007

Le rôle de l'écrivain

"و أرى أن الكاتب هو، في المقام الأول، محارب و ثوري قبل أن يكون رجل قلم. و الكاتب ينبغي أن يكون لبنة في صرح ثوري. فبدون ذلك، لا يعدو أن يكون مخلوقاً، بدلاً من أن يكون خلقاً، إنه يكون مخلوقاً ينتصر للاستغلال و العفن. و لا ينبغي للكاتب أن يكون أعمى كما هي بعض المجلات، و كما هم بعض الكتاب الذين يصنعون هذه المجلات، بل ينبغي أن يصبح مُحقِّقاً اجتماعيّاً و سياسيّاً. [...] لدينا، للأسف، كتّابا كثراً يقتصرون على التفاخر بماضيهم، و يلتذون ذلك التفاخر، بدلاً من أن يخرجوا، بالمعنى السارتري لهذه الكلمة، على النظام القائم. فليس شأن الكاتب أن يقتصر على التركيب و التأليف، و إلا لم يسلمْ من انغلاق الأفق و من العماء المكين. "

"لا ينبغي بناء مجتمع صغير من النخبة!"، حوار مع محمد خير الدين، نشرته مجلّة "لام ألف" في عددها 52، الصادر بتاريخ دجنبر 1968

Monday, October 22, 2007

Peace

“I hope to show not only the contributions of an old and rich civilization. I hope to show, as Caliph al-Mamun concluded, that reason and faith can be the same, that by fully opening the mind and unleashing human creativity, many wonders -including peace- are possible.

Michael Hamilton Morgan, in “Lost History: The Enduring Legacy of Muslim Scientists, Thinkers, and Artists”, National Geographic Society, Washington D.C., June 2007, p.XV


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