L'homme et la cause
لحما ودما يتوارثه جيل وراء جيل مثلما يتبادل البائع
والزبون معلبات اللحم المقدد."
غسان كنفاني،"عائد إلى حيفا"، ص.33
« Seuls les artistes ont pu échapper au conflit des civilisations »
Par Nathalie Galesne
C’est à croire qu’elle a plusieurs vies condensée en une. La nuit rivée à l’ordinateur, le jour sautant d’une réunion à l’autre, un sourire omniprésent sur son visage gracieux. Hanan Kassab Hassan a longtemps enseigné à l’université de Damas. On doit aussi à cette traductrice hors pair de nombreuses mises en scène et adaptations théâtrales. Depuis quelque mois, elle est directrice de l’Institut d’art dramatique de Damas et secrétaire générale de «Damas, capitale arabe de la culture pour 2008». De toute évidence, le gouvernement syrien compte sur cette jongleuse d’imaginaires, cette équilibriste des cultures arabe et européenne, pour promouvoir, sous le signe de la modernité, une des plus antiques villes du monde.
Très jeunes, tes relations avec l’Europe passent par la culture et les lettres, pourquoi t’es-tu tournée si tôt vers l’Europe?
Quand j'étais petite, j'étais un rat de bibliothèques. J'avalais tout ce qui me tombait entre les mains. Je lisais les classiques et les modernes arabes mais aussi Cervantès, Lorca, Stephan Zweig, et bien sûr l’Iliade et l'Odyssée. Une traduction arabe de Rimbaud m'a enchantée au point de décider de faire une fugue à l'âge de 17 ans comme lui. Je me rappelle bien de la voix mélodieuse de ma mère qui nous lisait les bouquins de
Plus tard, quand je devais faire mes études universitaires, mon père m'a conseillé de m'inscrire au département de littérature française pour élargir mes horizons. J'étais une élève de l'école publique et tous les étudiants de ce département étaient des bacheliers des écoles françaises qui maîtrisaient très bien la langue. J'étais donc obligée de travailler jour et nuit pour les dépasser et obtenir les meilleurs résultats, armée de cette sensibilité littéraire que me procuraient la lecture des traductions et du désir ardent d'obtenir les clefs du savoir en lisant les auteurs dans leurs langues originales. C'est ainsi que j'ai appris non seulement le français, mais aussi l'Anglais, l'Allemand et l'Espagnol. Il faut dire qu'à cette époque, l'image de l'Europe était très positive. C'était un modèle à suivre pour évoluer et construire le pays.
Bien que mariée avec deux enfants en bas âge, tu as fait toutes tes études en France, comment était perçue ta situation en Syrie et en France?
Je ne me suis jamais sentie comme une syrienne à Paris. Je me sentais chez moi à Damas comme rue Mouffetard à Paris. Je n'ai pas vécu mon départ en France comme une déchirure, mais comme une chance à ne pas rater, et je faisais l'aller- retour entre les deux pays sans aucune gêne. Mes enfants me manquaient, mais je les savais bien entourés, mon mari aussi. L'absence augmentait l'amour et allégeait le poids de la vie domestique et de la routine quotidienne. D'autre part, il faut dire que la situation était alors différente de ce qui se passe aujourd'hui. C'était les années soixante-dix. Le phénomène de l'exclusion n'était pas du tout concevable et la question du conflit entre deux mondes ou entre deux civilisations n'était pas encore posée. Au contraire, quand je disais aux gens que j'étais syrienne, il montraient plus de curiosité que de rejet.
Tu as traduit de nombreux textes, on te doit entre autres la première traduction de Jean Genet en arabe. Peut-on tout traduire d’une langue à l’autre, peux-t-on réellement avoir accès à l’imaginaire de l’autre?
Ce n'est pas toujours facile. Traduire c'est trahir, mais si on arrive à s'imprégner de la pensée de l'autre l'exercice devient passionnant. Il y a un très bon écrivain syrien qui a traduit Dostoievski en arabe. Il disait qu'il pensait à ce que dirait Dostoievski s'il était arabe, et c'est ainsi qu'il a fait une excellente traduction de la littérature russe. A mon avis il ne faut jamais traduire machinalement. Il faut aimer, bien connaître celui qu'on traduit, se mettre dans sa peau pour sortir une œuvre qui ne dévoile pas la traduction. Genet était un cas spécial. J'ai traduit Les Paravents après 5 ans de travail de thèse sur l'œuvre. Je connaissais la pièce presque par cœur, mais l'œuvre était en elle-même très difficile. L'aliénation des Arabes colonisés se manifestait dans leur langue fragile, dans les termes bizarres qu'ils employaient (ils parlaient français dans le texte mais sont supposés parler arabe), et le français des colons trahissait l'influence de la langue locale par une structure lourde et étrange. En plus il y avait la parodie de tout l'héritage littéraire de Péguy, de Mallarmée…et de la colonisation. Quand il écrit Les Paravents, Genet traduisait une confrontation entre deux imaginaires et utilisait les mots comme travestissement et c'était à moi de comprendre tout cela et de le communiquer au lecteur arabe. C'était un véritable défi…
Tu travailles depuis des années sur des projets euro-méditerranéens, comment décrirais-tu ces actions, quelles sont leur richesse, mais aussi leurs limites?
Je pense, qu'au fond, tous ces projets visaient initialement à promouvoir un sentiment d'appartenance méditerranéenne pour remplacer le nationalisme arabe très fort dans la région du Moyen-Orient depuis la fin du colonialisme. Cette appartenance aurait pu rapprocher les gens des deux rives car nous partageons vraiment une culture commune. Mais il y eut le 11 septembre qui a nourri une vision manichéiste du monde. Les gens maintenant se replient de plus en plus sur leurs identités respectives, et il devient de plus en plus difficile de les sortir de leur cloisonnement. Seuls les intellectuels et les artistes ont pu échapper au conflit des civilisations car ils sont préalablement armés de leur esprit ouvert et de leur désir de dialoguer. Les réseaux et les projets culturels ont encouragé la création d'un microcosme où les artistes se connaissent et travaillent souvent ensemble, mais le reste du monde? En dehors de ce cercle très étroit, notre monde est de plus en plus fragilisé par les conflits politiques et par le poids du fanatisme religieux qui sévit de part et d'autre.
Mais il faut dire aussi que les projets financés par l'Europe consacrent beaucoup d'argent à des manifestations ponctuels et à des événements qui laissent peu de traces après leur accomplissement. Il aurait été plus pertinent de créer des structures qui s'inscrivent dans la durée, et de consacrer plus d'argent à la mobilité des artistes. Nos jeunes sont isolés. Ils n'ont pas la possibilité de voyager, et l'obtention de visas devient presque impossible. Leur bagage visuel s'appauvrit de plus en plus, leur curiosité s'éteint, et leurs horizons se rétrécissent. Il est normal de voir cette frustration se traduire par le recours à la religion.
Concrètement quels sont les problèmes qui se posent lorsque l’on souhaite mettre en oeuvre des projets culturels avec l’Europe?
Il y a tout d'abord les dossiers très lourds à remplir et les conditions contraignantes qui empêchent les artistes de profiter des appels à proposition. Il faut être une association pour monter un projet et dans certains pays comme
Comment l’Europe est-elle perçue par les intellectuels et les créateurs syriens, et plus généralement par le citoyen syrien?
L'Europe était un modèle à suivre pour la génération de nos parents férus de modernisme. Cette image positive a été par la suite modérée par le retour au patrimoine qui, depuis les années 80, conduit le mouvement de l'art et de la pensée. S'ajoute à cela la situation politique très compliquée et les positions ambiguës de l'Europe dans les conflits actuels. Malgré tout, l'Europe reste pour l'homme de la rue la dernière ligne de défense contre l'hégémonie américaine, et dans ce sens là, elle garde quelque chose de positif.
Il faut dire aussi que le recul dans l'apprentissage des langues a joué son rôle. Il faut maîtriser le français ou l'anglais pour suivre ce qui se passe ailleurs, et ce n'est pas le cas pour la plupart des artistes et des intellectuels de la nouvelle génération. En même temps, la culture des pays du Golfe a joué son rôle et le pétrodollar qui finance les chaînes satellites, les restaurants de fast food, les malls, a fini par l'emporter.
Que signifie le mot “culture” pour les Européens? Que signifie le mot “culture” pour les Syriens?
Pour nous, le mot culture veut dire la production artistique et intellectuelle, l'art et la pensée, et c’est, dans ce sens, l'exclusivité des intellectuels. Malgré tout l'effort, resté théorique, de promouvoir une culture populaire, ce domaine n'intéresse pas du tout les gens essentiellement préoccupés par les problèmes du quotidien. Je pense que pour un Européen, le mot culture est entendu au sens large du terme, ce qui signifie le mode de vie, les pratiques religieuses, la gastronomie, la façon de s'habiller, etc.
Tu incarnes une des voix les plus indépendantes et les plus ouvertes de
Ce choix s'inscrit dans le projet de réforme qui touche entre autre les mécanismes de l'action culturelle. Nous vivons une époque de transition avec tout ce que cela implique de contradictions, de difficultés et de perspectives. Contribuer positivement au changement me semble un devoir et une action politique qui s'inscrit dans la direction que j'ai toujours choisie. Les compétences qui me sont données en tant que secrétaire générale de cet événement me permettent de réaliser enfin le projet que j'élaborais depuis de longues années, celui d'aider les jeunes à s'exprimer, à produire, et à connaître ce qui se passe dans le monde. J'ai donc dit oui sans hésitation et j'en suis heureuse.
Tu as décidé de profiter de ces festivités pour tendre une autre image de Damas aux Européens - souvent influencés par des préjugés défavorables à son égard - quelle image et quel message souhaites-tu avant tout faire passer sur ta ville?
C'est l'image d'un pays qui a toujours été un lieu de rencontre et de création. Un pays ouvert à toutes les cultures où vivent ensemble sans se heurter les religions, les communautés, les ethnies et les peuples. Un pays où la culture est un mélange heureux de poésie arabe, de chants syriaques, de musique kurde, de danses Tcherkesses, de cuisine turque, de photos prises par les arméniens… C'est aussi l'image d'un pays où l'on peut se promener seul jusqu'à trois heures du matin sans la moindre inquiétude, et où il suffit de frapper à n'importe quelle porte pour que l'on soit invité à partager une tasse de café.
Quelles sont les grandes lignes de la programmation culturelle de “Damas capitale arabe de la culture” et quelles en sont les motivations?
En plus des axes traditionnels de la culture (théâtre, poésie, musique, cinéma, arts plastiques, colloques et publications), nous allons essayer de créer des événements culturels qui se déroulent dans les lieux de la vie quotidienne. Nous allons porter les événements culturels chez les gens dans leurs quartiers périphériques et leurs banlieues pour les inciter, eux qui se désintéressent de l'art, à admirer la création. L'atmosphère générale sera la fête, c'est pourquoi il y aura de la musique dans les jardins, de la poésie dans la rue, du théâtre dans les cafés et sur les places publiques. Cette tendance urbaine de l'art ne fait pas partie des habitudes de la ville, c'est pourquoi nous misons sur l'attraction des manifestations pour gagner un public plus large. Il y aura aussi des artistes invités du monde entier et des manifestations qui reflètent les expériences novatrices de l'art moderne. Nous négocions actuellement la possibilité de faire une exposition archéologique au Louvre et une exposition d'icônes et de manuscrits au Musée Cluny.
Il y aura aussi des résidences d'artistes, des ateliers de formation pour les enfants et pour les jeunes, des bourses de production pour le théâtre et le cinéma...Cette année donnera la chance à tous les jeunes artistes qui désirent s'exprimer, si la qualité du travail est bonne.
Qu’attends-tu de cette année de festivités?
De créer de nouvelles habitudes culturelles, de lancer des axes de réflexion, de réhabiliter des lieux alternatifs, de former des équipes de travail, et surtout, de promouvoir le tourisme culturel: les touristes viennent souvent visiter les souks et les quartiers de la vieille ville. Ils ne savent pas que nous avons aussi à Damas un Opéra très bien équipé, des Instituts de musique, de théâtre et de danse...
Á l’approche d’une nouvelle rentrée scolaire, les étudiants s’activent à la recherche d’un logement, soit-il dans une cité universitaire ou en ville. Mais pour les étudiants étrangers, une complication inutile vient s’ajouter à l’habituelle et très connue difficulté de l’exercice : celle de trouver un logement où ils peuvent être domiciliés. Si le problème ne se pose pas pour les étudiants belges domiciliés pour la plupart –voire tous- dans le foyer parental, leurs homologues étrangers ont impérativement besoin d’une adresse qui figurera sur leur carte de séjour « limitée à la durée des études ».
Fausse impression
Des propriétaires qui s’activent, des affiches collées partout, des travaux en vue d’adapter les logements des étudiants à la nouvelle rentrée. Le décor est parfait mais il induit en erreur : Á voir cet engouement, l’on pourrait facilement croire que l’offre dépasse largement la demande. Et pourtant. Á la rentrée, les malheureux seront du côté des étudiants étrangers et non des propriétaires. Et pour cause. Les annonces ne ciblent pas tous les étudiants, indépendamment des études qu’ils poursuivent et de leur nationalité ; indépendamment de la couleur de leur peau, sommes-nous tentés de dire.
Plusieurs offres semblent convenir aux attentes des étudiants étrangers, mise à part cette mention ajoutée sous diverses formes : « Étudiant non domicilié », « Pas de domiciliation ». Ou encore, comble de la bêtise : « Pas de domiciliation ; Pas les week-ends ». La pratique est illégale, nous apprennent les employés communaux au service des étrangers. Illégale mais bien présente, dans un état de droit. Illégale mais impunie, dans un état de droit. Illégale et récurrente enfin, dans un état de droit. Les mêmes fonctionnaires nous apprennent que la mention « Pas les week-ends » indique clairement que seuls les étudiants « belges de souche » sont les bienvenus, d’où une ségrégation à l’encontre de
Nos interlocuteurs au service des étrangers poursuivent : « Tout local pouvant être loué peut servir de domicile ». Ainsi, les propriétaires interdisant la domiciliation à leurs locataires sont, au mieux des hors-la-loi louant des kots et des studios sans avoir un permis de location ad hoc, au pire des racistes (qui s’ignorent ?). L’on peut comprendre que certains locataires rechignent à louer à des étudiants de telle ou telle nationalité après avoir eu des problèmes avec un ancien étudiant locataire provenant du même pays, soit en raison de retards dans le paiement du loyer ou de la dégradation des lieux –pratiques que nous dénonçons haut et fort. Mais sanctionner énormément d’étudiants à cause d’un tort causé par un de leurs compatriotes est une attitude inacceptable.
De leur côté, les propriétaires rétorquent que « la commune a fait envoyer des experts pour visiter les lieux et imposé de nouvelles mesures » en ce qui concerne les domiciliations. « Nous ne demandons qu’à louer », assurent-ils.
Discours contradictoire
En raison du caractère contradictoire des déclarations des propriétaires et des employés du service des étrangers, les étudiants étrangers se trouvent dans l’impasse. Seules victimes de cet imbroglio (ou sordide manipulation ?) et sans véritable appui associatif, ils ne savent plus à quel saint se vouer.
Il est peu probable qu’un groupe de pression se saisisse de ce dossier, qui ne cesse rendre la vie des étudiants étrangers en Belgique de plus en plus compliquée. Les cités universitaires fermées l’été –à quelques exceptions près-, les propriétaires imposant leur (injuste) loi en toute impunité, une deuxième session qui commence bientôt : tels sont les ingrédients d’un été gâché. Un été de plus, finalement.
Frustrés et désespérés mais surtout pressés par le temps, la plupart des étudiants étrangers sauteront sur la première occasion pour dénicher un kot, introuvable sésame. Peu importe le prix du loyer ; et peu importe la superficie : Optimum condimentum est fames!
Jaafar AMARI
Étudiant marocain
Observatoire des religions
La plupart des "experts sociaux" se sont trompés, y compris ceux de la CIA.
Le réveil de l’islam est lié à la modernisation.
Philippe Simonnot
Le réveil de l’islam est lié la modernisation, telle est la thèse surprenante des sociologues américains Rodney Stark et Roger Finke. Certes cette thèse n’est qu’un aspect mineur de leur ouvrage magistral Acts of faith [1], mais elle nous a paru suffisamment importante et surtout suffisamment éclairante pour que nous la mettions en exergue.
Les visiteurs de ce site connaissent bien le premier de ces auteurs [2]
Thèse surprenante, parce que l’on considère couramment que le « revival » islamique s’oppose à la modernité et qu’il est donc réactionnaire, voire régressif. Cette vision des choses, totalement erronée pour nos auteurs, proviendrait de notre croyance dans la sécularisation de la société, croyance qui remonterait au 18e siècle, « Siècle des Lumières », et qui ne reposerait, en fait, sur rien de tangible.
Evidemment, faire du réveil islamique un produit de la modernisation change complètement la vision que l’on peut en avoir.
On n’est pas très éloigné du point de vue soutenu par Patrick Haenni [3]
En 1982, Mary Douglas , sociologue bien connue, remarquait que les experts en sciences sociales n’avaient pas prévu la « résurgence de l’islam « et demandait : pourquoi en était-il ainsi ? Ces experts, y compris ceux de
Les mêmes préjugés continuent à empêcher de comprendre le réveil islamique actuel – ceci alors que les « fondamentalistes » musulmans peuvent causer des troubles politiques, ils ne poseraient aucun problème basique parce qu’ils sont de simples réactions malheureuses contre la modernité venant des parties les plus ignorantes et les plus retardées de la population de nations pas très modernisées.
Tout ceci est une idiotie.
Certes, les membres de l’élite les plus occidentalisés des sociétés islamiques peuvent avoir été les plus proches de la sécularisation, mais à côté d’eux le soit disant fondamentalisme islamique a tiré ses leaders et une grande partie de son soutien des membres les plus éduqués et les plus privilégiés et ce n’est donc pas un mouvement réactionnaire des « masses » (248).
L’islam contemporain tire sa force de deux facteurs importants :
1) l’islam sert couramment comme base institutionnelle de nationalisme et d’opposition au colonialisme – aux plans politique, culturel et économique.
Comme David Martin l’a expliqué : « La plupart des sociétés islamiques ont subi des conditions semblables à celles de l’Irlande et de
2) En plus de servir les nations islamiques exactement de la même façon que la piété catholique a servi
Ici la comparaison doit se faire avec les firmes chrétiennes dans l’économie religieuse américaine. Alors qu’il y a un grand nombre de groupes religieux non- chrétiens aux Etats-Unis, en termes d’inscription ils sont insignifiant et ne pas en tenir compte ne ferait pas de différence dans l’appréciation des hauts niveaux de religiosité en Amérique.
La même chose s’applique à l’islam dans le sens que nous ne devons pas chercher la diversité d’abord en termes de fois non musulmanes, mais à l’intérieur des frontières de l’islam lui même . Et à l’intérieur de l’islam, l’état normal des affaires est le pluralisme.
Etant donné les liens serrés non habituels entre l’église et l’Etat qui ont caractérisé les sociétés islamiques pour la plupart de leurs historiens, le pluralisme islamique a été « une réalité sociologique longtemps cachée par un pouvoir autoritaire qui ne pouvait pas s’accorder à lui sans menacer sa propre survie » [6]. Durant les siècles passés ou à peu près, le pluralisme islamique s’est manifesté ouvertement dans beaucoup de sociétés et a généré le même degré de mobilisation de masse que celui produit par le pluralisme [religieux] aux Etats-Unis.
Finalement, les recherches montrent que plus l’environnement religieux est non régulé et concurrentiel, plus nombre sont les musulmans prêts à entreprendre leur pèlerinage à
En contradiction flagrante avec la doctrine de la sécularisation, il semble y avoir une compatibilité profonde entre la foi islamique et la modernisation – plusieurs études provenant de diverses parties du monde suggèrent que l’engagement musulman s’accroît avec la modernisation.
Etudiant les musulmans de Java, Joseph Tamney [4] a trouvé que l’engagement religieux y était positivement corrélé avec l’éducation et des situations de prestige. C’est-à-dire : il y avait plus de chances pour que des gens qui ont été au collège ou occupé des positions de haut standing prient cinq fois par jour, donnent des aumônes, jeûnent en accord avec la pratique islamique orthodoxe que des musulmans de peu d'éducation ou occupant des emplois de peu de prestige.
Tamney a aussi trouvé que la pratique musulmane augmentait avec la modernisation. Dans son livre suivant [5] , Tamney a analysé la « résilience » de la religion : comment elle a été capable de s’adapter aux défis de la modernité. (75)
Une étude du mouvement « fondamentaliste » au Pakistan montre que les leaders sont hautement éduqués (tous ayant des diplômes supérieurs) et que les supporters du mouvement sont tirés pour la plupart de la nouvelle classe moyenne [6] . Cela est confirmé par des données concernant les étudiants turcs. Depuis 1978, il y a eu un accroissement remarquable dans le pourcentage des étudiants de l’Université d’Ankara tenants d’une foi islamique orthodoxe, et en 1991, l’écrasante majorité des étudiants se situaient dans cette mouvance. En 1978, 36 % des « étudiants exprimaient la ferme croyance que « il y a un Ciel et un Enfer », tandis qu’en 1991, les trois quarts partageaient cette vision des choses. Même observation chez Kayan Mutlu [7]. Ces étudiants seront les futurs leaders politiques et intellectuels de la nation, y compris les ingénieurs et scientifiques. De plus,
Bien sûr, ces données sur l’islam sont fragmentaires. Mais aucun observateur informé n’a besoin de telles données pour détecter la formidable vitalité de l’islam contemporain et pour se rendre compte qu’il est en relation directe avec la modernisation. (75)
Les numéros entre parenthèse de ces notes de lectures renvoient à la pagination du livre.
[1] Rodney Stark et Roger Finke, Acts of faith, Explaining the human side of religion, University of California Press, 2000
[2] cf. Le christianisme à l’origine du capitalisme, dans la rubrique Christianisme
[3] cf. L’islam de marché est en marche, dans cette même rubrique
[4] Tamney, Joseph B. 1979. "Established Religiosity in Modern Society : Islam in Indonesia." Sociologivcal Analysys, 40
[5] Tamney 1992, The Resilience of Christianity in the Modern World, Albany : State University of New York Press
[6] Ahmad Munmtaz. 1991. Islamic Fundamentalism in South Asia : The Jamaat-i-Islamiu and the Tablighi Jamaat of South Asia." in Fundamentalisms observed, edited by Martin E. Marty ad R. Scott Appleby. Chicago : University of Chicago Press
[7] Mutlu Kayan. 1996. "Examining Religious Beliefs among University Students in Ankara", British Journal of Sociology, 47
Les prisonniers défient l’impossible : ils transforment les prisons en universités
Abdel Nasser Ferwana
Malgré la répression féroce et le traitement inhumain, malgré les conditions de détention et la torture, les prisonniers palestiniens et arabes détenus dans les prisons de l’occupation sont parvenus à surmonter les difficultés pour s’adapter à leur situation grave et exceptionnelle. Car ils savent d’avance la nature de l’occupation et ont assisté dès leur enfance à ses crimes, comprenant ainsi que les droits s’arrachent et ne se donnent pas, que l’histoire ne s’écrit qu’avec le sang et que la victoire ne s’obtient que par les énormes sacrifices. Ils ont également réalisé, de manière précoce, que l’occupation vise leur culture et leur patrimoine, cherchant à les réduire à des corps creux sans aucun contenu. C’est pourquoi ils ont refusé de s’abandonner à l’amère situation et ont décidé, armés d’une volonté d’acier et d’une détermination inébranlable, de s’organiser et de mener la lutte derrière les barreaux pour améliorer leurs conditions de détention et arracher leurs droits fondamentaux. Ils ont offert les martyrs, l’un après l’autre et ont écrit, tout au long des dizaines d’années passées, des pages lumineuses de lutte et sont parvenus à tisser leur propre histoire, remplie de sacrifices et de magnifiques expériences. Jamais dans l’histoire humaine une expérience collective derrière les barreaux n’a été aussi lumineuse que celle du mouvement des prisonniers dans les prisons de l’occupation israélienne.
Une de ces réalisations fut de transformer les prisons et les centres de détention en bastions révolutionnaires, en écoles et universités pour former générations après générations, le dirigeant ingénieux et le militant entêté, l’écrivain magistral et le poète créatif. Le mouvement d’enseignement et d’éducation ne s’est jamais arrêté, mais est passé par plusieurs phases.
Au début, il était difficile d’obtenir des feuilles de papier et des crayons. Le papier de cigarette ainsi que tout bout de carton furent utilisés au moment où les crayons passaient clandestinement à l’intérieur des prisons. Le même crayon faisait le tour de toutes les organisations qui s’en servaient pour transmettre leurs instructions ou autres. Les détenus furent contraints de mener des grèves de la faim épuisantes afin d’obtenir des cahiers et des crayons ainsi que le droit de faire entrer des livres. Ils revendiquèrent le droit d’organiser des programmes et des stages de formation dans différents domaines.
Malgré la lenteur et la négligence des autorités carcérales, les prisonniers arrachèrent en fin de compte le cahier, le crayon et le droit de lire. L’administration de la prison dirigea alors sa répression contre la matière écrite dans les cahiers, en instaurant surveillance et contrôle et en confiscant ces écrits. Elle voulut maîtriser le genre de livres introduits, interdisant l’utile et autorisant le futile.
La situation évolua et s’améliora de sorte que les prisonniers ont obtenu tout ce dont ils avaient besoin, les cahiers, les crayons et certains livres, bien que ces « largesses » pouvaient être remises en cause à tout moment. Les prisonniers ont adopté le moyen de l’auto-instruction par la lecture individuelle ou l’échange des acquis, ou les formations collectives par les séances éducatives.
Concernant les sujets abordés par les prisonniers, ils furent essentiellement politiques, sécuritaires et intellectuels, avec une attention spéciale aux moyens de résister lors des interrogatoires et au comportement avec l’administration carcérale. Des séances d’alphabétisation sont assurées aux prisonniers non instruits avec des programmes obligatoires. L’enseignement des langues, notamment l’hébreu et l’anglais, fait partie des cours proposés aux prisonniers qui le souhaitent. Des centaines de prisonniers s’y sont initiés avant de pouvoir traduire des livres et des études diverses, notamment après leur libération.
Des prisonniers se distinguent par leurs écrits
Un grand nombre de prisonniers ont suivi les cours de rédaction, assurés par les organisations dont les formations étaient inégalées. Certains prisonniers ont accordé une importance supplémentaire à l’écriture et leurs écrits furent remarquables, que ce soit sous la forme de poèmes, de nouvelles courtes, d’articles, d’études et de recherches dans différents domaines. Derrière les barreaux de l’occupation, les prisonniers ont écrit et continuent à écrire des centaines de nouvelles, autant de poèmes et d’études politiques. Un grand nombre de prisonniers ont continué à écrire même après leur libération, rejoignant officiellement les écrivains, poètes, journalistes et traducteurs. Parmi les anciens prisonniers écrivains, citons Mahmud al-Gharbawî, Fayez Abu Shamaleh, Abu Salim Jadallah, ‘Issa Qaraqe’, Ahmad Qatamesh, Ali Jaddah, Mahmud Jadda, Hassan Abd-Allah, Ata al-Qumayrî, dr. Adnan Jâbir, Azza Ghazzawî, Ali Jaradat, Ghazi Abu Giab, al-Mutawakkel Taha, Adnan al-Damirî, Nasir al-Laham. La liste est longue et que m’excusent ceux qui n’ont pas été cités.
Des programmes différents, un but unique
Chaque organisation de la résistance a développé son propre programme éducatif en fonction de sa vision politique et idéologique, et a formé sa propre bibliothèque aux côtés de la bibliothèque central qui rassemble en général des milliers d’ouvrages. Des mécanismes d’échanges d’ouvrages entre les bibliothèques des organisations ont permis leur circulation large. Malgré la différence des programmes et des méthodes éducatives, les organisations sont d’accord pour que la durée de détention soit mise à profit pour éduquer et instruire les prisonniers, quel que soit son niveau. Il arrive que les organisations palestiniennes publient une revue commune pour les prisonniers dont la matière concerne les sujets nationaux, la sécurité et la littérature, au moment où chaque organisation publie sa propre revue et la distribue à ses membres. L’unité des prisonniers se manifeste lors des débats et réunions publiques organisés par au moins deux organisations, dans la cour de la prison.
D’un autre côté, les prisons israéliennes assistèrent récemment à une évolution remarquable, la revendication des prisonniers à poursuivre leurs études secondaires. L’administration carcérale de l’occupation accepta selon des conditions précises, en coordination avec le ministre de l’enseignement et de l’éducation. De nombreux prisonniers eurent ainsi la possibilité d’obtenir le diplôme de fin d’études secondaires, du moins ceux dont la situation répondait aux conditions fixées. Toutefois, les prisonniers n’ayant pas achevé leurs études pré-secondaires ne furent pas autorisés à poursuivre leurs études officielles.
Droit d’adhérer à l’université et à l’enseignement à distance
En 1992, la grève illimitée de la faim des prisonniers s’était étendue à toutes les prisons et a duré dix-neuf jours. Parmi les nombreux droits arrachés au cours de cette grève, celui d’adhérer aux universités par le biais de l’enseignement par correspondance. Mais les autorités carcérales ne les autorisèrent pas à s’inscrire ailleurs qu’aux universités de l’occupant. Malgré cette restriction, des centaines de prisonniers s’inscrivirent aux cours et poursuivirent leurs études universitaires, obtenant des diplômes de licence dans différents domaines et même des maîtrises.
Cela suscita un formidable élan parmi les prisonniers qui s’inscrivirent par centaines pour la poursuite de leurs études secondaires ou universitaires.
Les prisonniers diplômés
A ce propos, de nombreux prisonniers ont obtenu la licence et la maîtrise, comme Samir Qintar, le doyen des prisonniers libanais qui a obtenu la licence en sciences humaines et sociales et a achevé son diplôme en juin 1997 à l’université ouverte de Tel Aviv. Il poursuit actuellement des études pour obtenir d’autres diplômes universitaires.
En juin 2005, le prisonnier Muhammad Hassan Mahmud Ighbarieh, du village al-Mshayrife, dans le Triangle (zone occupée en 1948), détenu depuis 1992 et condamné à 3 perpétuités et quinze ans de prison, a obtenu le magistère en « sciences de la démocratie » à l’université ouverte de Tel Aviv. Il avait auparavant obtenu le magistère en histoire et sciences politiques.
En mai dernier (2007), le prisonnier Mansur Atef Rayan, du village de Qarawa Bani Hassan (région de Salfit) a obtenu la licence en relations internationales et sciences politiques à l’université ouverte, alors qu’il est détenu à la prison de Haddarim.
Des prisonniers exposent et discutent leurs thèses au téléphone
Dans un défi inégalé, certains prisonniers sont parvenus, non seulement à poursuivre leurs études, mais aussi à discuter leurs travaux de maîtrise et leurs thèses de doctorat par le biais des téléphones portables qu’ils avaient fait clandestinement passer en prison. De nombreux prisonniers avaient été arrêtés alors qu’ils poursuivaient leurs études universitaires. En prison, ils ont poursuivi leurs études et maintenu le contact avec leurs collègues et professeurs.
Le 16 août 2003, le prisonnier Nasir Abdel Jawad, 38 ans, a discuté sa thèse de doctorat de l’intérieur de la section 5 de la prison de Meggido, grâce au téléphone portable, pendant deux heures et demi, avec l’équipe de professeurs de l’université nationale d’al-Najah. Ce fut une première en Palestine, et probablement dans le monde. Il obtint effectivement son diplôme et est considéré comme le premier prisonnier à obtenir son doctorat au cours de sa détention.
Peu après, au cours de la même année, le prisonnier palestinien Rashid Nidal Rashid Sabri, 29 ans, discute pendant une heure et demi son mémoire de maîtrise, de l’intérieur de la prison de Ofer, grâce au téléphone portable, avec l’équipe d’enseignants de l’université de Bir Zeit.
En mai 2006, le prisonnier Tariq Abdel Karim Fayad réussit à discuter son mémoire de maîtrise par le biais de son téléphone portable, alors qu’il se trouvait dans la prison de Ofer, à l’université d’al-Quds. Fayad n’avait plus qu’à rédiger son mémoire lorsqu’il a été arrêté par l’occupant. Il acheva sa rédaction en prison. Il est de Deir al-Ghossun dans la région de Tulkarm, et est père de deux enfants.
Ce ne sont que quelques exemples récents d’une longue lutte menée par les prisonniers pour s’instruire et s’éduquer, malgré les mesures répressives de l’occupation. Le mouvement national des prisonniers représente une formidable école, dans tous les sens du terme, qui mérite qu’on s’y intéresse, en menant enquêtes et études, pour d’abord éclairer les divers aspects de la résistance dans les prisons de l’occupation et ensuite rendre hommage à ces hommes, femmes et enfants qui se sacrifient sans compter pour la libération de la patrie.
Traduction Centre d'Information sur
« Le capitalisme veut des hommes anonymes (à la limite abstraits), vidés de leurs désirs, mais pleins de leur force de travail. »
BEN JELLOUN, Tahar, in « La plus haute des solitudes », Éd. du seuil, Saint-Amand-Montrond, 2003 (première édition en 1977), p.13
Écris, et cette main tendue
Récolte,
Écris, loin de ce coeur attendri
Amarré à la souillure,
Écris, et cette offrande piégée,
T'éveillera,
Quand aura sonné,
L'heure de ta révolte!
Écris, par passion
Et par procrastination
Écris, sous l'ombre
Et dans l'enfer des mots,
La cause qui t'anime,
Jamais ne t'accordera
De répit,
Ni de récréation.
Écris, toi le vagabond,
L'éternel errant,
Poisson sans eau,
Côte sans océan,
Écris, toi l'illustre anonyme,
L'éternel inconnu,
Et cherche dans l'insondable espace,
Dans le temps infini,
Et dans l'immuable terre,
Ton introuvable synonyme.
Écris,
C'est le temps des erreurs,
Ni masquées ni corrigées,
Pour les personnes non grata,
Dans la lignée du bonheur.
Écris, toi l'oiseau sans nid,
Le rossignol sans voix,
Toi, l'écrivain sans éditeur,
Et l'artiste sans public,
Et à ta faim mange
De l'anonymat
... Ton pain béni!
Écris,
Encore et encore,
Quand s'éveillera le silence,
Et se taira la parole.
L'aveuglement, une vertu
Et maudite soit la vue!
Écris,
Encore et encore,
Toi l'abîme sans fond,
Fossé où ne retentit
Ni écho ni son.
Seul protagoniste,
De ce glauque décor!
Écris!
Encore et encore...