Le réveil de l'islam est lié à la modernisation
Observatoire des religions
La plupart des "experts sociaux" se sont trompés, y compris ceux de la CIA.
Le réveil de l’islam est lié à la modernisation.
Philippe Simonnot
Le réveil de l’islam est lié la modernisation, telle est la thèse surprenante des sociologues américains Rodney Stark et Roger Finke. Certes cette thèse n’est qu’un aspect mineur de leur ouvrage magistral Acts of faith [1], mais elle nous a paru suffisamment importante et surtout suffisamment éclairante pour que nous la mettions en exergue.
Les visiteurs de ce site connaissent bien le premier de ces auteurs [2]
Thèse surprenante, parce que l’on considère couramment que le « revival » islamique s’oppose à la modernité et qu’il est donc réactionnaire, voire régressif. Cette vision des choses, totalement erronée pour nos auteurs, proviendrait de notre croyance dans la sécularisation de la société, croyance qui remonterait au 18e siècle, « Siècle des Lumières », et qui ne reposerait, en fait, sur rien de tangible.
Evidemment, faire du réveil islamique un produit de la modernisation change complètement la vision que l’on peut en avoir.
On n’est pas très éloigné du point de vue soutenu par Patrick Haenni [3]
En 1982, Mary Douglas , sociologue bien connue, remarquait que les experts en sciences sociales n’avaient pas prévu la « résurgence de l’islam « et demandait : pourquoi en était-il ainsi ? Ces experts, y compris ceux de
Les mêmes préjugés continuent à empêcher de comprendre le réveil islamique actuel – ceci alors que les « fondamentalistes » musulmans peuvent causer des troubles politiques, ils ne poseraient aucun problème basique parce qu’ils sont de simples réactions malheureuses contre la modernité venant des parties les plus ignorantes et les plus retardées de la population de nations pas très modernisées.
Tout ceci est une idiotie.
Certes, les membres de l’élite les plus occidentalisés des sociétés islamiques peuvent avoir été les plus proches de la sécularisation, mais à côté d’eux le soit disant fondamentalisme islamique a tiré ses leaders et une grande partie de son soutien des membres les plus éduqués et les plus privilégiés et ce n’est donc pas un mouvement réactionnaire des « masses » (248).
L’islam contemporain tire sa force de deux facteurs importants :
1) l’islam sert couramment comme base institutionnelle de nationalisme et d’opposition au colonialisme – aux plans politique, culturel et économique.
Comme David Martin l’a expliqué : « La plupart des sociétés islamiques ont subi des conditions semblables à celles de l’Irlande et de
2) En plus de servir les nations islamiques exactement de la même façon que la piété catholique a servi
Ici la comparaison doit se faire avec les firmes chrétiennes dans l’économie religieuse américaine. Alors qu’il y a un grand nombre de groupes religieux non- chrétiens aux Etats-Unis, en termes d’inscription ils sont insignifiant et ne pas en tenir compte ne ferait pas de différence dans l’appréciation des hauts niveaux de religiosité en Amérique.
La même chose s’applique à l’islam dans le sens que nous ne devons pas chercher la diversité d’abord en termes de fois non musulmanes, mais à l’intérieur des frontières de l’islam lui même . Et à l’intérieur de l’islam, l’état normal des affaires est le pluralisme.
Etant donné les liens serrés non habituels entre l’église et l’Etat qui ont caractérisé les sociétés islamiques pour la plupart de leurs historiens, le pluralisme islamique a été « une réalité sociologique longtemps cachée par un pouvoir autoritaire qui ne pouvait pas s’accorder à lui sans menacer sa propre survie » [6]. Durant les siècles passés ou à peu près, le pluralisme islamique s’est manifesté ouvertement dans beaucoup de sociétés et a généré le même degré de mobilisation de masse que celui produit par le pluralisme [religieux] aux Etats-Unis.
Finalement, les recherches montrent que plus l’environnement religieux est non régulé et concurrentiel, plus nombre sont les musulmans prêts à entreprendre leur pèlerinage à
En contradiction flagrante avec la doctrine de la sécularisation, il semble y avoir une compatibilité profonde entre la foi islamique et la modernisation – plusieurs études provenant de diverses parties du monde suggèrent que l’engagement musulman s’accroît avec la modernisation.
Etudiant les musulmans de Java, Joseph Tamney [4] a trouvé que l’engagement religieux y était positivement corrélé avec l’éducation et des situations de prestige. C’est-à-dire : il y avait plus de chances pour que des gens qui ont été au collège ou occupé des positions de haut standing prient cinq fois par jour, donnent des aumônes, jeûnent en accord avec la pratique islamique orthodoxe que des musulmans de peu d'éducation ou occupant des emplois de peu de prestige.
Tamney a aussi trouvé que la pratique musulmane augmentait avec la modernisation. Dans son livre suivant [5] , Tamney a analysé la « résilience » de la religion : comment elle a été capable de s’adapter aux défis de la modernité. (75)
Une étude du mouvement « fondamentaliste » au Pakistan montre que les leaders sont hautement éduqués (tous ayant des diplômes supérieurs) et que les supporters du mouvement sont tirés pour la plupart de la nouvelle classe moyenne [6] . Cela est confirmé par des données concernant les étudiants turcs. Depuis 1978, il y a eu un accroissement remarquable dans le pourcentage des étudiants de l’Université d’Ankara tenants d’une foi islamique orthodoxe, et en 1991, l’écrasante majorité des étudiants se situaient dans cette mouvance. En 1978, 36 % des « étudiants exprimaient la ferme croyance que « il y a un Ciel et un Enfer », tandis qu’en 1991, les trois quarts partageaient cette vision des choses. Même observation chez Kayan Mutlu [7]. Ces étudiants seront les futurs leaders politiques et intellectuels de la nation, y compris les ingénieurs et scientifiques. De plus,
Bien sûr, ces données sur l’islam sont fragmentaires. Mais aucun observateur informé n’a besoin de telles données pour détecter la formidable vitalité de l’islam contemporain et pour se rendre compte qu’il est en relation directe avec la modernisation. (75)
Les numéros entre parenthèse de ces notes de lectures renvoient à la pagination du livre.
[1] Rodney Stark et Roger Finke, Acts of faith, Explaining the human side of religion, University of California Press, 2000
[2] cf. Le christianisme à l’origine du capitalisme, dans la rubrique Christianisme
[3] cf. L’islam de marché est en marche, dans cette même rubrique
[4] Tamney, Joseph B. 1979. "Established Religiosity in Modern Society : Islam in Indonesia." Sociologivcal Analysys, 40
[5] Tamney 1992, The Resilience of Christianity in the Modern World, Albany : State University of New York Press
[6] Ahmad Munmtaz. 1991. Islamic Fundamentalism in South Asia : The Jamaat-i-Islamiu and the Tablighi Jamaat of South Asia." in Fundamentalisms observed, edited by Martin E. Marty ad R. Scott Appleby. Chicago : University of Chicago Press
[7] Mutlu Kayan. 1996. "Examining Religious Beliefs among University Students in Ankara", British Journal of Sociology, 47
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