Monday, April 16, 2007

Le triste printemps de Casablanca

Le triste printemps de Casablanca



Des attentats en masse, une ville assiégée et prise au piège, des rumeurs au bout de toutes les lèvres et, surtout, des victimes innocentes. Tel est le décor, le triste décor de la ville de Casablanca en ce début de printemps.

Tout commence le 11 mars lorsqu’un individu se fait exploser et un autre prend la fuite avant d’être rattrapé. Selon la version officielle, les deux terroristes attendaient de recevoir, par messagerie électronique, les indications sur l’endroit où ils devaient commettre leur forfait. Quelques semaines plus tard, d’autres terroristes se feront exploser, entraînant la mort d’un policier. La succession de ces opérations, le modus operandi utilisé et l’ampleur des dégâts font en sorte que ces opérations ressemblent davantage à un suicide collectif qu’à des actes terroristes.

Au-delà de la condamnation sans réserve de ces sordides manœuvres, demeure l’inévitable question qui dérange : Pourquoi ?

Des suicides en masse, une absence de coordination et de précision, une absence de synchronisation : voilà le trait caractéristique des opérations qui ont secoué le poumon économique du Royaume du Maroc.

Á côte des analyses et des débats traditionnels sur la question du terrorisme, sur la menace qui pèse sur le Maghreb ou sur le danger d’Al Qaïda et du Groupe Salafiste pour la Prédication et pour le Djihad (GSPC), il y a l’analyse sociologique de ce qui s’apparente à un suicide collectif. Explorant l’interaction entre les structures sociales et les comportements individuels, la sociologie, science positive par définition (contrairement aux sciences normatives), s’est longuement penchée sur la question du suicide, notamment par le biais des travaux d’Emile Durkheim.

Le suicide est le résultat d’une intégration sociale non optimale et d’un contexte où l’individu se retrouve ou bien incapable d’exister en dehors de sa société et des normes qu’elle lui impose, ou bien incapable de vivre dans une société qui ne respecte pas son penchant anticonformiste réfutant les règles et les jugements pré-établis. Derrière la fausse apparence d’attentats suicides se profile ce qui a indiscutablement l’apparence d’un suicide collectif des membres d’une secte.

Oeuvrant par le biais de la manipulation mentale des adeptes, excluant tous les autres raisonnements car présentant le sien comme exclusif, survalorisant ses futurs membres (au sein d’une société qui les méprise ou ne s’enquiert de leur sort), provoquant la rupture des liens familiaux et sociaux ou y incitant, dissuadant ses membres de toute approche critique vis-à-vis de sa doctrine, chaque secte fait le lit du suicide en offrant les conditions préalables à cet acte de mort, synonyme de désespoir. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le suicide n’est jamais un choix. Il traduit toujours une absence de choix et d’horizons chez « les sujets dont l’avenir est impitoyablement muré. »

En raison de la chasse à l’homme menée par les forces de sécurité et de la coopération de l’ensemble de la population marocaine, l’étau se resserrait depuis quelques jours autour de ces terroristes qui devaient très probablement prendre part à des opérations organisées, synchronisées. Armés, entraînés visiblement, intégrés dans une secte mal organisée et ayant vraisemblablement perdu tout contact avec leur gourou arrêté le samedi 14 avril, les bombes humaines, désemparées, ont organisé le suicide collectif de type fataliste auquel nous avons assisté tout au long de cette semaine.

S’il convient de condamner sans aucune restriction les attentats terroristes et toutes les actions qui portent atteinte à la vie humaine, il est tout aussi vital de restaurer la cohésion sociale précaire qui, en temps de progrès et de triomphe des désirs individuels, tend à s’effriter inexorablement. Dans ce cadre, il est impératif de renforcer le rôle de l’État et des institutions et groupes qui encadrent le citoyen et servent d’intermédiaires entre lui et l’État. Il est tout aussi important de stimuler le rôle de la société civile, capable d’encourager la diversité des opinions, la tenue de débats ouverts sur les sujets importants et même sensibles, la création de structures et de réseaux alternatifs, la participation –et donc l’intégration- des citoyens dans les vies culturelle et associative, véritables obstacles pouvant se dresser implacablement contre « le culte de la mort ».


Jaafar AMARI

2 Comments:

At Saturday, April 28, 2007 5:29:00 PM, Blogger El Morro said...

“Il n'existe aucun lien de causalité entre la misère et l'attentat-suicide. Cet acte est essentiellement conditionné par l'imaginaire du kamikaze et sa représentation du monde et de sa 'mission' dans ce monde. C'est un ensemble d'éléments, d'origines différentes, qui constitue cet imaginaire. Un kamikaze n'est pas une personne désespérée, qui veut mettre fin à sa vie d'une façon absurde, sans buts ni objectifs. Le premier but est d'ordre religieux : pour un kamikaze, le jihad est la plus haute obligation qui incombe aux musulmans. Le second est politique, lié à sa propre conception de son rôle sur terre. Pour lui, l'acte suicidaire est une réponse à une situation historique caractérisée, selon l'idéologie de ces groupes, par une humiliation de la nation de l'islam par ses ennemis, avec l'aide des régimes arabes et musulmans. Les images diffusées en boucle sur les chaînes satellitaires et sur Internet, sur la situation des musulmans en Palestine, en Irak, en Tchétchénie et en Afghanistan, réconfortent les membres de ces groupes dans leur représentation du monde. Elles participent également à l'élaboration de modèles à suivre : Ben Laden, Zarkaoui, les kamikazes du 11 septembre, les anciens combattants arabes en Afghanistan, etc.”.

Abdellah Tourabi. Chercheur à Sciences-Po Paris et spécialistes du terrorisme transnational
La psychologie du kamikaze

 
At Sunday, April 29, 2007 10:02:00 AM, Blogger Jaafar said...

Merci Alae pour tes contributions enrichissantes! (Aurais-tu lu un email de ma part?)

Je trouve toutefois cette analyse inadéquate pour décrire -ou expliquer- ce qui s'est passé à Casablanca.

Les bombes humaines n'étaient pas des extrémistes connus, certains sans aucun passé afghan.

Je me réfère au témoignage du citoyen courageux qui a neutralisé un candidat-kamikaze à Hay El Farah (Interview parue dans "La Gazette du Maroc"):

"Comment était le terroriste au moment de sa neutralisation ?
Vous savez, ce qui m’a frappé le plus ce sont ses yeux. Ils étaient rouges. On aurait dit qu’il était drogué et qu’il venait de se réveiller. C’est d’ailleurs l’impression que nous avons tous eue."


Le témoignage du gérant du cyber où tout a commencé le 11 mars a aussi fait un témoignage semblable.

Des drogués sans véritable référent religieux -et donc sans aucune motivation religieuse. Des analphabètes dans leur grande majorité, peu enclins à raisonner en termes "d'humiliation universelle" (situation des musulmans, situation du tiers-monde, effets des politiques d'ajustement structurel imposés par le FMI, etc.) Leur imaginaire étant plutôt réduit à leur vécu direct, ils sont mieux disposés à penser à l'humiliation locale nourrie par leur vécu parfois tragique.

 

Post a Comment

<< Home


Powered by IP2Location.com Locations of visitors to this page