Wednesday, June 20, 2007

L'État de non droit

État de non droit


Arrestations arbitraires, torture à grande échelle, procès inéquitables et transferts illégaux de détenus : si l’on en croit un nouveau rapport publié le 11 avril par l’ONG Amnesty International sur les droits de l’homme en Égypte, la situation est alarmante.

Le document de 53 pages s’ouvre sur un cas devenu emblématique des atteintes aux droits humains au pays des Pharaons : celui d’Emad al-Kébir, un jeune chauffeur de minibus sauvagement torturé dans un commissariat du Caire, en janvier 2006. Son crime ? Avoir protesté contre les mauvais traitements infligés par la police à l’un des membres de sa famille… Déshabillé puis ligoté, il a été violé à l’aide d’un bâton, sous les injures de ses bourreaux.

Filmée par le téléphone portable de l’un des policiers présents au macabre interrogatoire, la scène s’est retrouvée sur Internet en novembre 2006. Scandalisé, le journal Al-Fagr (« L’Aube ») décide alors de mener l’enquête et finit par identifier deux des tortionnaires : les officiers Islam Nabih et Rédha Fathi. Emad al-Kébir avait longuement hésité avant d’accepter de collaborer avec les journalistes. À raison, puisque l’investigation du quotidien ne s’est pas seulement soldée par le jugement des tortionnaires, elle a aussi débouché sur la condamnation de la victime à trois mois de prison ferme. Motif : avoir « fait obstacle aux autorités ».

Reste qu’Emad al-Kébir peut se féliciter d’avoir survécu. Souleiman Youssef Ahmed, Mohamed Ahmed ou Achraf Said Youssef ont, en effet, eu moins de chance que lui : en 2005, tous trois ont rendu l’âme sous la torture policière. Une pratique qui se généraliserait dans tous les commissariats égyptiens, selon Amnesty International, qui pointe notamment du doigt les services de renseignements de la sûreté de l’État (SSI). En 2004, l’Organisation égyptienne pour les droits de l’homme recensait ainsi vingt-deux décès en garde à vue à la suite d’actes de torture et plus de soixante-dix cas de suppliciés.

Mais le plus inquiétant est peut-être qu’il ne s’agit pas des seuls griefs adressés par Amnesty au régime de Hosni Moubarak. L’ONG s’indigne aussi du maintien en détention administrative de quelque 18 000 Égyptiens « sans la moindre raison juridique » et de la multiplication des arrestations arbitraires qui touchent femmes, enfants et vieillards sans distinction, dès lors qu’ils sont suspectés de fréquenter des djihadistes potentiels. « Des milliers d’Égyptiens ont été arrêtés au nom de la sécurité ; certains sont détenus depuis des années sans avoir été inculpés ni jugés, souvent malgré des décisions de justice ordonnant leur remise en liberté ; d’autres ont été condamnés à l’issue de procès inéquitables », déclare Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Le rapport mentionne notamment des rafles organisées au lendemain des attentats de Taba et de Dahab, en 2004 et 2006. Les autorités ne reculeraient devant aucun sacrifice : pour obtenir la reddition d’un individu recherché, les services de sécurité n’hésiteraient pas à prendre sa famille en otage…

Des moyens auxquels ils peuvent avoir recours grâce à la loi d’urgence, entrée en vigueur en 1981. Très discutée mais jamais abolie - au contraire : le 26 mars dernier, Moubarak a fait adopter par référendum des modifications constitutionnelles qui en reprennent les principales dispositions -, elle octroie à la police et à la justice une grande liberté d’action. C’est elle, notamment, qui permet d’invoquer la sécurité de l’État et de renvoyer nombre d’affaires devant des tribunaux militaires ou d’exception. Souvent expéditifs, ils n’hésitent pas à prononcer les peines les plus lourdes : depuis 1992, 137 personnes ont été condamnées à mort et 67 exécutées.

Le contexte n’a pas échappé à certains pays occidentaux, tels les États-Unis et la Suède, obsédés par la lutte contre le radicalisme islamiste. Assez peu regardant sur les moyens de faire parler ou de se débarrasser de ceux qu’ils considèrent comme des « terroristes », ils auraient procédé à plusieurs « transferts illégaux » de « djihadistes » égyptiens vers leur pays d’origine, malgré les risques de torture qu’ils encourent. Une pratique à laquelle Amnesty demande qu’il soit mis fin dans les plus brefs délais, alors que Le Caire s’apprête à adopter une nouvelle loi contre le terrorisme que d’aucuns voient déjà comme une nouvelle étape de la dégradation des droits de l’homme dans le pays.

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