Sunday, September 10, 2006

Presse bananière en France

Presse bananière en France

Ceux qui imaginaient que les remous suscités par le renvoi du directeur de Paris Match par Arnaud Lagardère (propriétaire du titre), pour complaire à son ami Nicolas Sarkozy, obligeraient les artisans de la censure à un certain sens de la mesure se sont donc lourdement trompés. C’est à présent La Tribune qui affronte la tourmente. Afin, là encore, de favoriser le patron de l’UMP et ministre de l’intérieur, le directeur de la rédaction du quotidien économique (appartenant à M. Bernard Arnault, homme le plus riche de France et témoin de mariage de l’actuel ministre de l’intérieur) vient d’imposer à la collectivité de ses journalistes la censure d’un sondage favorable à Mme Ségolène Royal. Les syndicats ont aussitôt réagi.

Mais l’élément le plus nouveau est ailleurs. Le rôle partisan des oligarques de l’information commence à susciter des réactions politiques. Pas forcément du côté où on les attendait le plus. C’est en effet M. François Bayrou (1), président de l’UDF (centre droit), et pas la gauche ni l’extrême gauche, qui vient de mettre en cause, sur TF1, la détention des moyens d’information par des grands intérêts industriels engagés dans la campagne présidentielle de M. Sarkozy. On pourra objecter que la situation que M. Bayrou dénonce aujourd’hui découle de décisions auxquelles il fut lui-même associé comme député de la majorité ou comme ministre (loi Léotard de 1986 et loi Carignon de 1994). Mais peu importe à ce stade : depuis vingt ans la question des médias avait soigneusement été occultée par les responsables politiques. A présent ce débat nécessaire est relancé.

François Bayrou sur TF1 (2 septembre 2006)

François Bayrou, président de l’UDF, a été interrogé en direct par Claire Chazal sur TF1 le 2 septembre 2006 à 20 heures. Il a implicitement mis en cause sur cette antenne la très grande proximité entre M. Martin Bouygues et M. Nicolas Sarkozy.
François Bayrou : Ce qui est frappant, c’est que depuis des mois il y a une orchestration médiatique pour essayer de faire croire aux Français que le choix est joué à l’avance, et qu’ils n’ont plus que à se ranger derrière Nicolas Sarkozy ou derrière Ségolène Royal. Et les grands médias [sourire entendu], vous le savez bien…
C.C. : On vous reçoit François Bayrou, on vous écoute. On vous écoute ce soir et nous avions François Hollande sur ce plateau dimanche dernier. Donc, vous savez, nous recevons tous les chefs de partis.
F.B. : Sans le moindre doute. Claire Chazal, vous êtes totalement innocente de ce qui se passe. Et loin de moi, vous le voyez bien, l’idée de mettre en doute cette innocence vertueuse. Les grands médias ont orchestré pour les Français un choix dicté à l’avance et il n’y aurait rien d’autre à faire pour les citoyens, qu’obéir à ce choix et de se ranger derrière l’un ou derrière l’autre. Il se trouve de surcroît que ce choix, naturellement, arrange beaucoup de gens, arrange des intérêts puissants — et les Français le sentent bien. Il faut seulement accomplir avec eux la lecture, l’éclairage qui fait que désormais ils pourront retrouver leur liberté.
C.C. […] En critiquant assez violemment Nicolas Sarkozy, vous risquez de heurter ses amis.
F.B. : Je ne critique pas Nicolas Sarkozy…
C.C. : Vous avez été ferme…
F.B. : Oui il faut être ferme… en rappelant la proximité qui est la sienne avec des responsables économiques extrêmement puissants. C’est une proximité qui est affichée, assumée, et même étalée dans les journaux comme vous le savez.
C.C. : Ça n’empêche pas…
F.B. : Je considère pour moi, je considère pour moi Claire Chazal, que l’argent et la politique doivent être séparés. Je considère que l’un ne doit pas avoir barre sur l’autre. Notamment lorsque ces puissances économiques détiennent de très grands médias.
C.C. : C’est une accusation, c’est une accusation extrêmement violente qu’il faudrait… j’allais dire étayer par des choses concrètes. L’amitié ne signifie pas forcément une prise de position ou des concessions sur l’idéologie et les idées.
F.B. : Je comprends très bien, Claire Chazal, que vous défendiez, je comprends très bien que vous défendiez cette thèse, précisément sur votre antenne…
C.C. : Je ne défends aucune thèse en particulier…
F.B. : … Mais je puis vous assurer qu’il y a un problème républicain dès l’instant que de très gros intérêts financiers, industriels, sont liés à de très gros intérêts médiatiques, et sont en liaison intime avec l’Etat.
C.C. : En tout cas, précisons-le et rappelons-le très précisément, François Bayrou, sur cette antenne toutes les personnalités politiques de droite et de gauche s’expriment, avec des temps de parole strictement équivalents, contrôlés par le CSA, vous le savez bien. Alors…
F.B. : Je vous ai décerné, Claire Chazal, un brevet de vertu. Donc prenez-en acte.
C.C. : Je parle pour ma chaîne en général, pour cette antenne TF1.
F.B. : C’est un brevet de vertu général !
C.C. l’interroge à nouveau sur la nécessité pour lui, après avoir voté la censure, de se rapprocher de Sarkozy : « Il va bien falloir aussi que vous alliez vers vos futurs amis de l’UMP et vos futurs électeurs. »
C.C. Merci beaucoup, François Bayrou, d’avoir été en direct dans ce journal.
F.B. : Merci de votre invitation.

(1) Ecouter des extraits de son intervention dans l’émission « Là-bas si j’y suis » consacrée au Monde diplomatique de septembre.

Source : Presse bananière en France

1 Comments:

At Sunday, September 10, 2006 4:20:00 PM, Blogger Jaafar said...

Lire également: "M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ?", par Marie Bénilde, (Le Monde Diplomatique, Septembre 2006)

Analyse très pertinente sur les réseaux médiatiques de M. Sarkozy, sur fond d'enjeux électoraux et de néolibéralisme triomphant du "modèle social français"...

 

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