Quelle alternative au discours de l’Occident civilisé contre « les pays arabes arriérés » ?
Quelle alternative au discours de l’Occident civilisé contre « les pays arabes arriérés » ?
Á l’heure où le conflit israélo-palestinien s’enlise de plus en plus profondément, il convient de s’interroger sur l’attitude occidentale et ses prises de position. Malgré les aides financières accordées aux Palestiniens, un certain nombre d’idées négatives circulent dans l’opinion occidentale à l’égard des Arabes. Notamment, il leur est souvent reproché de manque de civilisation et de rejeter la modernité.
Les propos de certains dirigeants sont éloquents à ce sujet. Dans un ouvrage récent, Shimon Peres, actuel vice-Premier ministre d’Israël et Prix Nobel de la paix, déclare : « Á mon sens, seul un virage du monde arabe vers la modernité pourra faire échec au fondamentalisme. De manière générale, une large partie du monde arabe est malade d’une idéologie anti-occidentale qui est en même temps anti-moderniste. Car la haine des Arabes à l’encontre d’Israël est en même temps une haine de la modernité. » (1)
Les Arabes sont globalement accusés de refuser la culture moderne, en raison de leurs idées rétrogrades ; c’est pour ce motif qu’ils s’en prennent à Israël, îlot occidental au cœur du monde arabe. On se rappelle également les propos tenus par Bush le 21 décembre 2001 : « La grande division de notre temps, c’est ce qui sépare la civilisation de la barbarie. »
Enfin, lorsqu’il était président du Conseil italien, Silvio Berlusconi a affirmé la supériorité de la civilisation occidentale, incarnant « un système de valeurs qui a apporté à tous les pays qui l’ont adopté une large prospérité qui garantit le respect des droits de l’homme et des libertés religieuses (…) (et va) conquérir de nouveaux peuples (…) (comme cela) s’était produit avec le monde communiste et une partie du monde islamique, mais que, malheureusement, une partie de ce dernier est restée mille quatre cents ans en arrière. » (26 septembre 2001)
Pour ces chefs d’Etat, la supériorité de l’Occident ne fait aucun doute. Dans ce discours apparaît clairement une opposition entre « nous les Occidentaux » et « les Autres », qui implique un rejet de l’Autre, de ses valeurs. L’Occident est le porte-drapeau de la modernité, du changement et du progrès, face à un monde arabe (et donc palestinien) présenté comme immuable et fataliste.
Notre recherche en histoire porte sur la perception des Arabes dans les récits de voyageurs européens francophones en Palestine de 1799 à 1948. Cette étude n’en est qu’à ses débuts mais nous permet déjà de faire certaines observations sur la modernité. Au Moyen Âge, malgré l’idéologie des croisades décriant l’islam, certains auteurs font preuve d’ouverture à l’Autre, exaltant la grandeur des Arabes et décrivant leur mode de vie avec émerveillement. (2)
Au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, il n’en va plus de même pour les voyageurs se rendant en Palestine. Malgré la possibilité de côtoyer des autochtones, ces Occidentaux arrivent avec leurs idées reçues et les défendent à tout prix. A l’époque se crée un discours qui est encore actuel. Quelques exemples : le reporter français Edouard Hesley (L’an dernier à Jérusalem, 1929) rapporte les paroles d’un Bédouin (Arabe nomade) de Palestine : « Nous y vivons à notre gré, selon une civilisation dont peut-être vous ne voudriez pas, mais que nous préférons à la vôtre. (…) Nous « éduquer » ? Grand merci ! Nous nous trouvons fort bien de notre état. C’était celui de nos parents. Pourquoi ne serait-il pas le nôtre ? Vous nous apportez le progrès ? Vous pouvez le garder pour vous. »
Le romancier Roland Dorgelès émet quant à lui le souhait de poser un panneau indiquant « Ici commence la civilisation » sur un trottoir séparant la ville de Jaffa de la nouvelle cité sioniste de Tel Aviv, symbole de la modernité occidentale (1928). Pour le journaliste Gabriel Charmes, dans Voyage en Palestine (1880), « Peu de contrées, en effet, possèdent autant de sources, autant de ruisseaux, que le pays de Génézareth ; seulement on laisse les eaux croupir dans des marais, se perdre sous terre ou s’écouler rapidemet dans le lac, au lieu de les diriger et de s’en servir pour arroser les plaines qu’elles enrichiraient (…) Si les moissons manquent, c’est parce qu’on ne sait pas semer. » Selon lui, la Palestine souffre de l’incompétence des paysans arabes, qui cultivent comme au Moyen Âge.
Pour expliquer la pensée pro-occidentale de ces auteurs, il faut se rappeler l’importance du nationalisme européen, conforté pat l’esprit colonialiste de l’époque. Si les Arabes sont paresseux, sans éducation et sans progrès, alors ils sont incapables de se gouverner seuls et leur terre est donc ouverte à la colonisation européenne offrant LA civilisation et la modernité. Á partir de l’entre-deux-guerres, le discours des voyageurs change : puisque la colonisation française s’avère impossible, alors ce sont les sionistes venus d’Occident qui prennent le relais. Partout où ils s’établissent, ils apportent l’esprit démocratique faisant défaut à la Palestine et de manière plus générale le progrès européen.
Aujourd’hui, on peut se demander si l’idéologie colonialiste ne fait pas son grand retour en faveur d’Israël. Après l’échec du mandat anglais, c’est Israël qui apporte à cette terre les bienfaits de la civilisation occidentale, justifiant sa prise de possession. Israël incarne les valeurs modernes telles que la démocratie, l’égalité homme-femme, la liberté, que les Arabes semblent refuser. Comme les Palestiniens ont eu jadis besoin de l’Europe, maintenant ils ont besoin d’Israël. Ces idées contemporaines ne datent pas d’hier et semblent indéracinables malgré notre meilleure connaissance du monde arabe.
Est-ce donc finalement l’Orient qui reste immuable ou plutôt notre pensée ?
(1) B. Boutros Ghali et S. Peres , 60 ans de conflit israélo-arabe. Témoignages pour l’Histoire. Entretiens croisés avec André Versaille, Bruxelles, p.381.
(2) D. Regnier-Bohler (sous la direction de), Croisades et pèlerinages, Paris, 1997, p.39
Valérie Géonet,
Chercheur FSR,
Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur.
Source :
GÉONET, Jean, « Quelle alternative au discours de l’Occident civilisé contre « les pays arabes arriérés » ? », Le Soir, Forum, Bruxelles, 5 septembre 2006, p.16
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