Lotfi Akalay
L’écrivain Lotfi Akalay promène depuis cinquante ans son regard impertinent sur la société.
Même en prenant de l’âge, Lotfi Akalay ne perd rien de son mordant. Écrivain, chroniqueur, journaliste, notamment à Jeune Afrique (1996-1997), il poursuit inlassablement son combat contre les tracasseries de la vie quotidienne. Excédé par l’incivisme et les absurdités de l’administration, ce Don Quichotte des temps modernes mène avec panache une lutte incessante contre la bêtise humaine. Ce qui lui vaut la sympathie de bon nombre de ses compatriotes, qui louent autant la qualité de son analyse que la férocité de son humour.
Son dernier fait d’armes, Nouvelles de Tanger, publié en septembre 2005, regroupe ses meilleures chroniques publiées dans la presse et plusieurs textes inédits. Ce Tangérois de souche y raille l’attitude des Marocains de l’étranger « au volant de leur fourgonnette Mercedes de quatorzième main ». Extrait : « Partis le ventre creux, ils nous reviennent la tête bouillonnante de billets et les poches bourrées d’euros. Ils nous considèrent comme Robinson à la vue de Vendredi. Les voici de retour au pays des sauvages, eux qui viennent de l’eldorado civilisé, où les supermarchés foisonnent de Danone de toutes les marques. » Et de s’en prendre quelques pages plus loin aux plus hautes personnalités du Makhzen qui se sont illustrées sous le règne d’Hassan II. Akalay fait parler des animaux, comme Quarck, le teckel : « Ne vous étonnez pas si un chien arrive à avancer cahin-caha dans le dédale de la politique marocaine : je suis habitué à la langue d’aboie. » Les obscurantistes de tout poil en prennent aussi pour leur grade : « Plus il y aura d’hommes virils et plus les femmes se voileront. Les voilées, je n’ose pas les courtiser, des fois qu’un barbu soit derrière elles, dissimulé dans la foule et déguisé en imberbe. » Avant de s’inquiéter de l’avenir de la jeune génération : « Les études littéraires, c’est l’accès direct à la chômatologie. » Néologismes et bons mots sont distillés tout au long des 262 pages de cet ouvrage publié par les éditions Coda.
Akalay est, dans la vie comme dans ses écrits, attaché aux principes et aux règles de société. Tout l’indigne en vérité : les abus de pouvoir, la grossièreté des parvenus, la saleté des rues… Ce « morâleur », comme il se qualifie lui-même, n’hésite pas, à chaque promenade dans les rues tangéroises, à rappeler le droit élémentaire du citoyen. Quitte à se frotter, du haut de son mètre soixante, aux deux molosses postés devant l’hôtel du Rif, équipés de talkies-walkies et d’oreillettes dernier cri. Après avoir déplacé sous leur nez les plots et la chaîne de sécurité qui protègent l’entrée principale et barrent l’accès au trottoir, le petit Lotfi leur rappelle son bon droit - les bas-côtés appartiennent aux Tangérois - et leur demande d’aller le répéter à leur patron.
Lotfi Akalay est ainsi. Depuis qu’il a poussé son premier cri, le 7 novembre 1943, il n’a cessé de japper. Impertinent, truculent, féroce, il rédige de 1990 à 1994 de savoureuses chroniques humoristiques pour Al Bayane, quotidien du PPS (Parti du progrès et du socialisme), organe de la classe ouvrière marocaine. Puis il opte sans transition pour
Il connaît un début de consécration dans les pays francophones avec la publication en 1995 d’une de ses nouvelles, Le Candidat, sous forme de feuilleton dans l’hebdomadaire satirique français Charlie-Hebdo. Moins d’un an plus tard, il sort aux éditions du Seuil son premier roman intitulé Les Nuits d’Azed, récit passionnant, dont le sexe et l’argent sont les principaux ressorts. Il y dénonce le machisme et s’élève contre la répudiation, cette forme inique de divorce, privilège réservé aux hommes. À ce jour, le livre a été traduit en huit langues : néerlandais, italien, portugais, grec, coréen, turc, chinois et espagnol. En juin 1998, il restitue toute leur modernité aux aventures du plus célèbre « voyageur de l’islam », dans Ibn Battouta, Prince des voyageurs aux éditions Le Fennec.
Diminué par la maladie, Lotfi Akalay éprouve aujourd’hui de grandes difficultés à s’exprimer. Peu importe… Il poursuivra son œuvre jusqu’au bout. Même s’il ne se fait pas de grandes illusions sur la portée de son message auprès de ses concitoyens : « La presse parlée est aussi surveillée qu’un site présidentiel irakien, tandis que la presse écrite est libre comme la chute de la roupie indonésienne. Marocanisons l’aphorisme : “Les paroles restent, les écrits s’envolent.” »
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