Monday, July 24, 2006

Une poétesse voilée se dévoile

Portrait. Une poétesse voilée se dévoile


Rachida Madani est une écrivaine à part. Publiée grâce aux prisonniers politiques, voilée pour des raisons de quête personnelle, elle écrit en français, en vers puis en prose, et s'intéresse à tout pour animer sa vie tangéroise.

“Se taire n'est pas juste”, affirme Rachida Madani. La cinquantaine à peine, fidèle à Tanger qu'elle n'a plus quittée depuis trente ans, la dame se fait discrète. Elle vient d'ailleurs de profiter du départ volontaire après trente ans de service dans l'enseignement national. “C'était une aubaine. C'est arrivé au bon moment car je voulais partir.

J'étais devenue une enseignante pas très convaincue depuis quelque temps. L'enseignement ne me donnait plus aucune satisfaction”, affirme-t-elle. La satisfaction et la plénitude, elle les retrouve dans son jeu préféré : l'écriture. Ses mots, elle les cuisine, les laisse mariner pour ensuite les offrir à ses lecteurs. Car elle a le goût des mots. “Je les savoure, confie-t-elle. Surtout quand je trouve le mot qu'il faut, à la place qu'il mérite”. Rachida Madani écrit, pose, laisse décanter avant de se relire et de se corriger. Minutieuse et patiente, elle a publié trois ouvrages en 25 ans et se méfie des auteurs qui en publient un chaque année.

Publiée grâce à Abdellatif Laâbi


C'est en 1981 qu'elle publie son premier recueil de poésie Femme je suis. Cependant, c'est depuis l'âge de six ans qu'elle s'essaie à l'écriture. A 12 ans, son premier recueil est bouclé. “C'est là que j'ai décidé d'être écrivaine quand je serais grande”. Mais qu'est-ce qui a poussé la petite fille vers l’écriture ? Elle est aujourd'hui incapable de se souvenir de ce qui a déclenché cet amour des mots. “Tout ce que je sais, c'est qu'à l'époque, il fallait que je prouve aux adultes que j'étais plus mature qu'ils ne s'en doutaient”. Exister, revendiquer, crier la condition de la femme, refuser l'oubli. Ce sont ces briques-là qui ont permis à l'écrivaine de se construire une tour à part.

Ce premier recueil Femme je suis, elle sera encouragée à le publier de derrière les barreaux de Kénitra. “Je suis une militante passive. Je ne sais pas crier de slogans et brandir de banderoles. Je milite avec mes mots. Mes poèmes sont parvenus à Mohamed Serifi à la prison de Kénitra. Il les recopiait et les lisait à ses compagnons de prison”. Rachida Madani demande à Abdellatif Laâbi, lorsqu'il est libéré, de préfacer son recueil. “Il m'a dit que s'il écrivait la préface, le recueil ne serait pas publié. J'ai tenu à ce qu'il le fasse et c'est d'ailleurs grâce à lui, que Femme je suis a été édité en France en 1981” aux éditions Barbares.

Une voix féminine contre le silence


Avec cette publication, l'écrivaine tangéroise réussit son pari : s'imposer en tant que femme et “transpercer” un champ littéraire, alors exclusivement masculin. “J'avais besoin de m'imposer en tant que telle et d'écrire au nom des autres qui ressentaient la même chose que moi”. Son choix de la poésie comme mode d'expression n'est pas fortuit. La Tangéroise reconnaît que le recours aux vers lui permettait d'exprimer avec force et concision ses idées. “Je n'avais pas envie de me perdre dans les mots. La poésie, c'était d'abord l'image. Il m'était surtout plus aisé d'exprimer par l'image ce que je ressentais et le poème se prête beaucoup à cela”. Mohamed Dib disait aussi que “l'exercice de la poésie mène vers un tel affinement, à une recherche tellement poussée dans l'expression, à une telle concentration dans l'image ou le mot qu'on aboutit à une impasse”. C'est également grâce à la poésie, notamment dans Contes d'une tête tranchée (Ed. La Différence, 2001), que Rachida Madani réécrira l'histoire de Shéhérazade, cette femme qui, pour sauver sa tête, berce chaque nuit Shahrayar, grâce aux mots et aux histoires. C'est une Shéhérazade militante, soucieuse des problèmes du palais que l'on découvre au fil de ce poème-récit. La plume de Rachida Madani se serait-elle tarie durant ces vingt années de silence ? “Non, je n'ai jamais cessé d'écrire. Mais à mon rythme”, précise-t-elle avec autant d'humilité que de détermination.

Un récit pour ne pas raconter d'histoire


Dans son dernier ouvrage, Rachida Madani passe au récit. Dans L'histoire peut attendre, l'écrivaine fait participer sa narratrice, ses personnages mais également son lecteur au déroulement de la trame -si trame il y a. Car comme son nom l'indique, l'histoire du roman peut attendre. Entendez, ce n'est pas une finalité en soi. L'ouvrage n'est qu'un prétexte à la réflexion aux rapports narratrice - héros - lecteur mais également une invitation à la réflexion à l'écriture. “Il ne s'agit pas là d'un roman conventionnel qui raconte du début à la fin une histoire”, se défend l'auteure. Mais c'est avec un réel plaisir que le lecteur se voit impliqué dans un dialogue avec les héros. Khadir*, un des personnages, l'interpelle : “Vous êtes là aussi sûr que j'existe ! Pour la première fois, je vois clair dans votre jeu : vous allez tout chambouler, tout réinventer à votre guise, impunément ! (…) je n'ai pas non plus l'intention de vous révéler le fin mot de cette histoire, d'ailleurs je ne le connais pas plus que vous”. Cette révélation contraste avec la légende de ce personnage puisque Khadir a le don du savoir.

Une quête de soi à travers la religion


Ce personnage, Rachida Madani le découvrira à la lecture du Coran et des interprétations du texte sacré. En effet, l'auteure tangéroise, dix ans après la publication de son premier recueil, se plonge dans la religion, lit le Coran et décide de porter le voile. Comme tout écrivain d'expression française, se pose à elle la question de la langue : “Commence alors cette recherche de l'identité que j'ai puisée dans la lecture du Coran et la découverte des préceptes de l'islam”. Dans sa quête, Rachida Madani n'hésitera pas à faire table rase de tout ce auquel elle croyait : “c'était nécessaire, sinon la recherche n'aurait eu aucune valeur”. En plus de cette quête de l'identité, intrinsèque à la littérature quelle qu'en soit l'expression, l'écrivaine avoue que la naissance de sa fille a été tout aussi déterminante. “En assumant le rôle de mère, j'ai été gagnée par la colère contre la société. J'ai réalisé combien on m'avait inculqué des préceptes erronés aussi bien à l'école que dans la famille. J'avais le sentiment d'avoir perdu trop de temps dans de fausses croyances”. Pour parfaire sa métamorphose, elle apprend alors la déclamation du Coran (tajouid), qu'elle enseigne aujourd'hui dans une mosquée de Tanger.


En somme, dans les mots, Rachida Madani a pêché la force des ses textes. Dans la religion, celle de son identité. Et dans la mer… des poissons avec son mari. “Pêcheuse, mais pas pécheresse”, renchérit-elle. Les talents artistiques de Rachida Madani ne s'arrêtent pas là. Passionnée et avide de nouvelles formes d'expression, elle s'est inscrite à des ateliers de peinture et se voit déjà façonner des poésies picturales. Pour elle, les “mots sont comme les couleurs pour le peintre”. Rachida Madani est également membre de l'association Karama pour le développement de la femme. Aujourd'hui, elle apprend le langage des sourds-muets pour prendre part au projet d'institut pour sourds et muets lancé par l'association El Aoun Wal Ighata à Tanger. C'est une touche-à-tout qui a foi en la femme et un amour infini pour la littérature. La preuve, elle s'y engage sans se voiler la face. Et sans jamais se taire.


* Khadir est un mythe religieux. Ce sont les différentes explications et interprétations du texte coranique qui donnent naissance à ce personnage doté d'une sagesse et d’un savoir immenses. Dans le Coran, Dieu a dit à Moïse d'aller à la rencontre de ce personnage au confluent des Mers. Rachida Madani pensera au Détroit d'autant plus, que sur la route de Ksar Sghir, il y a le Jbel Moussa. Une belle et exceptionnelle montagne blanche.

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