Art, vérité et politique
Art, vérité et politique, par Harold Pinter
Extracts :
En 1958 j'ai écrit la chose suivante : "Il n'y a pas de distinctions tranchées entre ce qui est réel et ce qui est irréel, entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Une chose n'est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être tout à la fois vraie et fausse."
Je crois que ces affirmations ont toujours un sens et s'appliquent toujours à l'exploration de la réalité à travers l'art. Donc, en tant qu'auteur, j'y souscris encore, mais en tant que citoyen je ne peux pas. En tant que citoyen, je dois demander : Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est-ce qui est faux ?
La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. Vous ne la trouvez jamais tout à fait, mais sa quête a quelque chose de compulsif.
Mais, comme je le disais, la quête de la vérité ne peut jamais s'arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l'affronter là, tout de suite.
Mais avant de revenir au temps présent, j'aimerais considérer l'histoire récente, j'entends par là la politique étrangère des États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Je crois qu'il est pour nous impératif de soumettre cette période à un examen rigoureux, quoique limité, forcément, par le temps dont nous disposons ici.
Tout le monde sait ce qui s'est passé en Union soviétique et dans toute l'Europe de l'Est durant l'après-guerre : la brutalité systématique, les atrocités largement répandues, la répression impitoyable de toute pensée indépendante. Tout cela a été pleinement documenté et attesté.
Mais je soutiens que les crimes commis par les États-Unis durant cette même période n'ont été que superficiellement rapportés, encore moins documentés, encore moins reconnus, encore moins identifiés à des crimes tout court. Je crois que la question doit être abordée et que la vérité a un rapport évident avec l'état actuel du monde. Bien que limitées, dans une certaine mesure, par l'existence de l'Union soviétique, les actions menées dans le monde entier par les États-Unis donnaient clairement à entendre qu'ils avaient décrété avoir carte blanche pour faire ce qu'ils voulaient.
L'invasion directe d'un état souverain n'a jamais été, de fait, la méthode privilégiée de l'Amérique. Dans l'ensemble, elle préférait ce qu'elle a qualifié de "conflit de faible intensité". "Conflit de faible intensité", cela veut dire que des milliers de gens meurent, mais plus lentement que si vous lâchiez une bombe sur eux d'un seul coup. Cela veut dire que vous contaminez le cœur du pays, que vous y implantez une tumeur maligne et que vous observez s'étendre la gangrène. Une fois que le peuple a été soumis - ou battu à mort - ça revient au même - et que vos amis, les militaires et les grandes sociétés commerciales, sont confortablement installés au pouvoir, vous allez devant les caméras et vous déclarez que la démocratie l'a emporté. C'était monnaie courante dans la politique étrangère américaine dans les années auxquelles je fais allusion.
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