Wednesday, October 04, 2006

Malalai Joya

Discours de Malalai Joya prononcé au Congrès du NPD fédéral- Canada.

Québec, 9 septembre 2006.

"Au nom de la démocratie et de la paix, mes chers amis, j’aimerais vous transmettre les salutations les plus chaleureuses du peuple afghan. Avant de parler de la situation dans mon pays, je tiens à remercier, du fond de mon cœur, mes amis au Nouveau Parti démocratique, qui ont pensé à leurs sœurs afghanes et qui m’ont invitée à ce rassemblement.

Mes amis honorables, cinq ans après la chute du régime misogyne et anti-démocratique des Talibans, presque cinq ans après le début de l’attaque menée par les États-Unis contre l’Afghanistan, vous aimeriez sans doute que je vous parle du progrès et des résultats positifs en Afghanistan, mais j’ai le regret de vous informer que l’Afghanistan est encore une terre en proie à une incendie double.

Le gouvernement américain a effectivement renversé le régime des Talibans, avec son esprit médiéval et ses maîtres d’Al Quaeda. Mais, ils ont permis que l’Alliance du Nord accède à nouveau au pouvoir. Ce groupe ressemble aux Talibans sur le plan des croyances, et ils sont aussi brutaux et anti-démocratiques que les Talibans. Parfois encore pires.

En décembre 2003, à titre de représentante à la grande assemblée, j’ai parlé de la criminalité de l’Alliance du Nord, et des dangers auxquels ils exposeraient l’Afghanistan. Mais aujourd’hui, même l’ONU accepte que l’Afghanistan devienne un narco-état sous leur régime.

Il faut que je vous dise que malheureusement, la situation désespérée du peuple afghan n’a pas changé. Lorsque le pays tout entier vit à l’ombre de l’arme à feu et des seigneurs de guerre, comment ses femmes peuvent-elles jouir des libertés les plus fondamentales ? Contrairement à la propagande diffusée par certains médias dans l’Ouest, les hommes et les femmes en Afghanistan n’ont pas été « libérés » du tout.

J’aimerais vous décrire la réalité de mon pays en pleine crise, même s’il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg.

Selon les Nations Unies, c’est un pays qui fait face à une crise de santé qui est considérablement pire que celle occasionnée par le tsunami. Sept cents enfants et entre 50 et 70 femmes meurent chaque jour, faute de services de soins de santé. Le taux de mortalité des mères et des enfants est encore très élevé : entre 1600 et 1900 femmes sur 100 000 meurent en couches. L’espérance de vie est inférieure à 45 ans.

Chez les femmes afghanes, le taux de suicide est terriblement élevé. Selon un sondage récent effectué par UNIFEM, 65 % des 50 000 veuves à Kabul voient le suicide comme la seule issue pour s’échapper de la misère noire dans laquelle elles se trouvent. De plus, le sondage prouve que la majorité des femmes afghanes sont victimes de violence psychologique et sexuelle.


Dans un pays qui a besoin d’énormément d’efforts de reconstruction, 40 % de la main-d’œuvre est au chômage, et une vaste majorité vit au-dessous du seuil de la pauvreté. L’Afghanistan se classe 175e sur les 177 pays de l’indice du développemnt humain de l’ONU.

Il est ironique que cela se passe dans un pays qui a reçu 12 milliards de dollars, et qui s’est vu promettre encore 10 milliards de dollars au congrès à Londres l’année passée. Mais cet argent finira principalement dans les poches des seigneurs de guerre, pour qu’ils puissent mieux opprimer notre pays.

Les crimes et les actes de brutalité commis par les seigneurs de guerre extrémistes persistent, et ce, sous le nez des troupes américaines et de l’ISAF. Des bandits armés de l’Alliance du Nord ont violé Fatima, âgée de 14 ans, ainsi que sa mère. Ils ont violé Rahima, 11 ans, et sa grand-mère de 60 ans. C’est un pays où Amina, 30 ans, a été tuée par lapidation, où Nadia Anjuman est devenue la cible facile de la violence de son mari parce que celui-ci avait la certitude de bénéficier de l’appui des seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord misogyne.

Sous le régime des Talibans, le ministère du Vice et de la Vertu est devenu le symbole d’abus arbitraires, surtout aux dépens des femmes et des filles afghanes. Pourtant, aujourd’hui, le cabinet afghan a décidé encore une fois de rétablir ce ministère horrible plutôt que de se concentrer sur les besoins criants de la société afghane.

Dans une déclaration de l’année passée, le comité américain pour la protection des journalistes, (Committee to Protect Journalists), a dit : « Les journalistes afghans font face à des pressions sévères exercées par les autorités afghanes, y compris des menaces, l’intimidation, même l’incarcération et le meurtre. » Voici ce qui se passe pendant que M. Karzai et les médias de l’Ouest parlent de la liberté d’expression en Afghanistan.

Ceux qui défendent la justice sont menacés de mort. Le 7 mai, 2006, j’ai été agressée physiquement par deux députés au Parlement qui soutiennent les seigneurs de guerre et les drogues, parce que j’avais dit la vérité. J’avais parlé des crimes de l’Allaince du Nord. L’un d’entre eux a même crié : « Prostituée, prenez-la et voilez-la ! »

Plutôt que de se fier aux gens pour traduire en justice ces seigneurs de guerre criminels, le président Hamid Karzai leur donne des postes supérieurs. Par exemple, cette année, il a nommé treize anciens commandants, avec des liens à la contrebande de drogues, au crime organisé et aux milices illégales, à des de postes de hauts dirigeants au sein de la police.

En raison de la situation tragique en Afghanistan, les 4 millions de refugiés afghans inscrits en Iran et au Pakistan, n’ont guère envie de retourner dans leur pays.

Mes chers amis, le gouvernement américain ne cesse de dire qu’il ne répétera pas les erreurs du passé en appuyant les extrémistes. Mais la vérité déchirante est que les États-Unis commettent exactement les mêmes erreurs. Ils appuient les extrémistes de façon généreuse, plus que jamais. Les États-Unis dépendent de l’Alliance du Nord, ceux-là mêmes qui ont transformé l’Afghanistan en enfer entre 1992 et 1996, et qui posent encore un danger énorme à la stabilité et à la paix dans mon pays.

Kathy Gannon, spécialiste en Afghanistan, dit avec raison que « les États-Unis ne s’intéressent pas à la paix en Afghanistan. Ceux qui ont tué des milliers de personnes, ceux qui ont appuyé l’industrie de la drogue, dirigent le pays. »


Les Afghans, les gens partout au monde qui croient à la justice, et des organismes internationaux en matière de droits de la personne, demandent d’une seule voix que les seigneurs de guerre et les anciens pantins pro-Moscou soient traduits en justice. Mais plutôt que d’être traduits en justice, ils se voient proposer des postes supérieures et des occasions de siéger au Parlement, avec l’appui des États-Unis et de ses alliés.

Le gouvernement américain inclut Gulbuddin Hekmatyar dans sa liste des terroristes les plus recherchés, mais 34 membres de son parti siègent au Parlement afghan. Les États-Unis travaillent avec des extrémistes pro-américains, et ils s’opposent uniquement aux extrémistes anti-américains. Voilà la raison pour laquelle les gens se moquent de la « guerre sur le terrorisme ».

L’élection parlementaire elle-même a fait la honte de la démocratie, même si les médias de l’Ouest l’ont appelée une grande réussite. Selon HRW, 70 % des membres du Parlement sont accusés de crimes de guerre, dont des membres de l’état fantoche russe, des trafiquants de drogues, des Talibans et des tueurs de l’Alliance du Nord.

Mes chers amis, les États-Unis ne se soucient pas de la racine du terrorisme en Afghanistan. Voilà pourquoi nous ne considérons pas les États-Unis comme le « libérateur » de notre pays.

J’espère que vous avez compris, à l’aide des petits exemples que je viens d’énumérer, que mon pays se trouve encore entre les griffes d’extrémistes et de terroristes meurtriers. La situation en Afghanistan, surtout celle des femmes afghanes vouées au malheur, ne changera jamais pour le mieux, tant et aussi longtemps que les seigneurs de guerre ne seront pas désarmés, et que la politique en Afghanistan ne sera pas délivrée des terroristes pro et anti-États-Unis.

Je pense qu’aucun pays ne peut donner la liberté à un autre pays.
Seulement le peuple lui-même peut s’affranchir. Les événements actuels an Afghanistan et en Irak en sont la preuve.

Je pense que si le Canada et d’autres gouvernements tiennent vraiment à aider le peuple afghan et à effectuer des changements positifs, il faudrait qu’ils agissent de façon autonome, plutôt que de devenir un outil avec lequel le gouvernement américain peut imposer ses mauvaises politiques. Il faut qu’ils s’alignent sur les besoins et les désirs du peuple afghan et qu’ils cessent d’aider les seigneurs de guerre et les éléments réactionnaires et ignorants au sein du système. C’est seulement en adoptant une telle approche que les pays pourront gagner la confiance des gens et prouver leur amitié envers le peuple afghan.

Nous sommes profondément désolés pour la perte des soldats canadiens en Afghanistan. Si le gouvernement canadien ne peut pas agir de façon indépendante plutôt que de suivre le programme du Pentagone, nous craignons que les efforts des troupes canadiennes ne servent que le gouvernement américain avant tout, et non pas le peuple afghan.

Nous voulons que le gouvernement canadien exerce une pression pour que des criminels comme Sayyaf, Rabbani, Qanooni, Mohaqiq, Fahim, Mullah Rakiti, les Khalqi et les Parchami soient délogés du pouvoir et traduits en justice. Il faut que les décideurs canadiens sachent que les seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord sont également responsables des circonstances désespérées du peuple afghan et du malheur qui sévit actuellement en Afghanistan.

Je suis consciente des difficultés et des défis, et du risque de mourir aux mains des forces anti-démocratiques. Mais je me fie à mon peuple. Un jour ils pourraient me tuer, puisqu’ils ont des armes à feu, ils détiennent le pouvoir et ils ont l’appui du gouvernement américain, mais ils ne pourront jamais me réduire au silence ni cacher la vérité.

Merci. "



Malalai Joya

Source : NPQ ( Québec) www.npd.ca

Source : http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=4142

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